Chère lectrice, cher lecteur,
La semaine en cours est placée sous le signe de l’initiative pour l’eau potable. Vendredi, il en sera question dans l’émission Arena de la télévision alémanique. La campagne monte donc d’un cran. Pour le politologue Claude Longchamp, la formation de l’opinion est un processus. Il arrive souvent que l’opinion évolue entre les premiers sondages et les résultats dans l’urne. Explications : au début, de nombreux citoyens reconnaissent le problème. À la fin, ils jugent cependant la solution proposée.
Dans le cas de l’initiative pour l’eau potable, l’analyse du problème déjà est déficiente. Et la solution proposée est assurément mauvaise. Des défenseurs reconnus de l’agriculture biologique, tels Felix Wehrle, le pionnier du bio, et Urs Niggli, l’ancien directeur de l’Institut de recherche de l’agriculture biologique (FiBL) l’affirment haut et fort dans le «Tages-Anzeiger». Le net rejet de l’initiative par les délégués de Bio Suisse est une autre preuve de la faiblesse de la proposition. En effet, de nombreux agriculteurs bio ne veulent pas mentir aux consommateurs sur la question des produits phytosanitaires dans l’agriculture bio. Les citoyens non plus en général ne se font pas mener en bateau. Nous ne votons pas sur des objectifs, mais sur un texte constitutionnel qui propose quelque chose de concret. L’interdiction des achats de fourrage prévue par l’initiative et qui viserait aussi les paysans de montagne est totalement inopportune. L’émission Rundschau aussi en a parlé. Les agriculteurs du dimanche à la montagne peuvent renoncer aux achats de fourrage. En revanche, ceux qui veulent contribuer à l’approvisionnement régional, en œufs par exemple, ont besoin de pouvoir acheter du fourrage. Faute de quoi, rien ne va. L’initiative pour l’eau potable détruit la production régionale, car les paysans de montagne dépendent des paiements directs.
Selon un sondage de Tamedia, une courte majorité approuve en ce moment les deux initiatives agricoles. Les gens en savent encore peu sur l’initiative pour l’eau potable. Néanmoins, les opposants aux initiatives doivent mettre les bouchées doubles. Ils doivent expliquer aux citoyens pourquoi la «solution» de l’initiative pour l’eau potable est mauvaise et inutilisable. De leur côté, les auteurs de l’initiative tentent par tous les moyens d’en dire le moins possible sur le contenu de leur initiative. Leurs adversaires ne doivent pas le permettre. Car dans les urnes, nous nous prononcerons non pas sur un problème abstrait, mais sur une proposition concrète.
Mais une chose après l’autre. L’objectif fait quasiment l’unanimité. Le Conseil fédéral, le Parlement, les agriculteurs, l’agrochimie et bien sûr les consommateurs veulent tous une eau potable propre. En Suisse, nous sommes fiers à juste titre de pouvoir boire notre eau sans arrière-pensée, où que nous nous trouvions. Cela doit continuer. Pour détourner l’attention du contenu de leur initiative, les initiants créent en lieu et place un «problème». Ils prétendent de manière répétée qu’un million de personnes boivent de l’eau contaminée. C’est faux. L’eau potable suisse est d’excellente qualité. Si l’on discute de l’eau potable actuellement, c’est principalement parce que l’année dernière en Suisse, les valeurs limites ont été abaissées d’un facteur 100 du jour au lendemain. La valeur limite ne dit rien du risque pour la santé. Rex Fitzgerald, toxicologue au Centre Suisse de Toxicologie Humaine Appliquée (SCAHT), le confirme : «Les valeurs limites sanitaires sont à distinguer des valeurs limites politiques. On les confond souvent.» Les valeurs limites sanitaires indiquent la dose d’une substance qu’un individu peut ingérer chaque jour une vie durant sans dommages pour la santé. En parallèle, il existe des valeurs limites légales qui ne traduisent pas un risque pour la santé. La valeur limite de 0,1 microgramme par litre est une valeur limite politique. C’est pourquoi il est résolument faux de parler d’une eau contaminée dans ce contexte, conclut le toxicologue. Pour un résumé des faits, voir ici.
Ce thème est étroitement lié au débat sur les résidus toxiques dans l’eau. En réalité, les méthodes de mesure actuelles sont si précises que l’on retrouve pratiquement tout. Pour évaluer la dangerosité, la dose reste déterminante. Paracelse le savait déjà. Son adage reste d’actualité : la quantité fait le poison. À ce sujet, la «NZZ» constate : l’alarmisme n’a pas lieu d’être. Interrogé par le quotidien zurichois, le professeur Michael Siegrist, spécialiste des comportements en matière de consommation, fait le même constat : «La dose est totalement perdue de vue par le profane.» Le professeur poursuit : «Qu’une chose puisse être à la fois contaminée et inoffensive n’est pas dans leur logique.» Au fait : ni l’eau du robinet, ni l’eau en bouteille, qui sont des produits naturels, ne sont purs. Cela ne nous empêche pas d’en boire sans arrière-pensée. Boire de l’eau distillée, pourtant pure, peut s’avérer mortel.
Faisant fi de la réalité, les auteurs et les partisans de l’initiative affirment que leur initiative ne fait l’objet d’aucun contre-projet. C’est faux, une fois encore. En fait, le Parlement a élaboré un contre-projet indirect pour protéger encore mieux les eaux souterraines et l’eau potable. Le contre-projet est ambitieux. On le voit à la réaction de l’agrochimie. Pour elle, celui-ci va trop loin.
Comme l’affirme Claude Longchamp, la discussion sur le contenu d’une initiative prend toujours plus d’ampleur au fur et à mesure d’une campagne. Parlons donc des propositions de l’initiative pour l’eau potable. Elle prévoit de subordonner le versement des paiements directs à trois conditions, et seule la recherche «sans pesticides» serait encore autorisée dans la recherche publique. Ces quatre conditions sont inutilisables. Nous avons déjà traité de la condition du «fourrage produit dans l’exploitation». Examinons à présent l’utilisation des antibiotiques à titre prophylactique, la production sans pesticides et la recherche sans pesticides.
- La disposition sur l’utilisation des antibiotiques à titre prophylactique dans l’agriculture est inutile. Le recours aux d’antibiotiques est aujourd’hui déjà prescrit par le vétérinaire et leur utilisation est bien documentée.
- L’abandon pur et simple des pesticides dans l’agriculture, soit les produits phytosanitaires et les biocides (nettoyants et désinfectants) est complètement irréaliste. Les agriculteurs bio aussi sont touchés par cette disposition, car eux aussi recourent à des produits phytosanitaires (dont des produits de synthèse, qui plus est persistants, par exemple le cuivre pour lutter contre les champignons). Les agriculteurs bio aussi ont besoin de biocides pour respecter les règles d’hygiène dans les étables. La proposition du «sans pesticides» réduirait sensiblement la production suisse. Les agriculteurs ne pourraient pas protéger leurs récoltes contre les champignons et les parasites. La production régionale reculerait et les prix des produits régionaux prendraient l’ascenseur. La qualité des produits aussi serait touchée. Les produits des récoltes endommagés ou malades ne pourraient être vendus. D’où une augmentation du gaspillage alimentaire, que personne ne souhaite et qui revient à gaspiller des ressources.
- L’initiative voudrait aussi limiter sensiblement la recherche publique. Seuls les travaux de recherche orientés sur une production sans pesticides recevraient encore des financements. Ce qui est sûr : les interdictions de penser n’encouragent pas le progrès. L’initiative pour l’eau potable ne limite pas seulement la production régionale. Les restrictions qu’elle prévoit dans le domaine de la recherche empêchent aussi les innovations. L’initiative met des œillères à la recherche agricole publique. C’est extrêmement hostile à la recherche. Ces jours-ci, l’EPFZ célèbre les 150 ans des sciences agraires. L’agronomie a une longue tradition en Suisse. Tant la recherche de l’industrie que la recherche des pouvoirs publics ont une excellente réputation. Pour que cela continue d’être le cas, il faut dire un Non clair et net à l’initiative pour l’eau potable.
Il n’y a rien de libéral dans cette initiative. Pas plus que dans les interdictions de penser et les entraves à la recherche. Les dispositions sur les paiements directs non plus ne sont pas libérales. Les agriculteurs reçoivent des paiements directs pours les prestations d’intérêt général qui ne peuvent pas être fournies par le marché. L’éviction des agriculteurs que provoquerait l’obligation de l’autosuffisance en fourrage est tout, sauf libérale. Idem pour l’injonction de produire «sans pesticides». La production régionale sur des sols d’excellente qualité en serait fortement limitée. L’agriculture suisse serait marginalisée et les importations de produits agricoles augmenteraient. Dire à des entreprises qui se voient retirer leurs outils qu’elles sont libres de choisir comment s’imposer sur les marchés relève du cynisme. Les carcans ne fonctionnent dans aucune branche. Des améliorations continues, si. Qu’elles sont prêtes pour cela, l’agriculture et l’agrochimie en apportent la preuve tous les jours.
Les Explications du Conseil fédéral résument parfaitement les arguments contre l’initiative : «Pour le Conseil fédéral et le Parlement, l’initiative va trop loin. Si elle est acceptée, beaucoup d’exploitations agricoles produiront moins de denrées alimentaires. Il faudra en importer davantage, ce qui reviendra à déplacer le problème de la pollution à l’étranger. Le Parlement a du reste déjà pris en compte la principale demande de l’initiative.» La conclusion est limpide : l’initiative n’est pas une bonne proposition pour garantir une agriculture productive, durable et efficiente en ressources.
La rédaction de swiss-food.ch
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