L’Observatoire a été informé de l’aggravation de la peine du journaliste arbitrairement détenu Ihsane El Kadi, membre fondateur et directeur du pôle éditorial de la web radio Radio M et du site d’informations en ligne Maghreb Émergent,
deux médias indépendants. Fervent défenseur du droit à la liberté
d’expression en Algérie et dans les pays du Maghreb, il a exprimé à
plusieurs reprises son soutien au mouvement pacifiste pro démocratie du
Hirak, et a été condamné par le passé pour avoir exprimé ses opinions
critiques envers le régime.
Le 18 juin 2023, la Cour d’appel d’Alger a condamné Ihsane El Kadi à
sept ans de prison, dont cinq ans ferme en appel pour « réception de
fonds de l’étranger à des fins de propagande », « pour accomplir des
actes susceptibles de porter atteinte à la sécurité nationale et au
fonctionnement normal des institutions » (Articles 95 et 95 bis du Code
pénal algérien, respectivement), aggravant ainsi sa peine de cinq ans de
prison, dont trois ans ferme, prononcée première instance. Les avocats
de M. El Kadi ont formé un pourvoi en cassation contre cette décision.
Au moment de la publication de cet Appel Urgent, Ihsane El Kadi était
toujours arbitrairement détenu à la prison d’El Harrach à Alger.
L’Observatoire rappelle qu’Ihsane El Kadi a été arbitrairement arrêté
le 24 décembre 2022. Le lendemain, les locaux d’Interface Médias,
société éditrice des médias Radio M et Maghreb Emergent, ont été mis
sous scellés, en dehors de toute procédure judiciaire et avant même
qu’une enquête ne soit officiellement ouverte.
Le 12 mars 2023, le procès de M. El Kadi s’est ouvert devant le
Tribunal de Sidi M’hamed, à Alger. Lors de cette audience, le tribunal a
décidé de tenir le procès en visioconférence sans en informer au
préalable ni le prévenu, ni ses avocats, qui ont refusé cette modalité
et ont demandé le report de l’audience afin qu’il puisse y assister en
personne. Le juge a finalement ordonné le report du procès au 26 mars
2023, sans donner suite aux prétentions de la défense mais en invoquant
l’absence de plusieurs témoins et du représentant de l’Autorité de
régulation de l’audiovisuel (ARAV), qui s’est constituée partie civile
contre Interface Médias, alors que les deux médias incriminés ne
dépendent pas légalement de cette instance. De nombreuses autres irrégularités et entorses ont été constatées par les avocats de la défense tout au long de la procédure.
Au cours de l’audience du 26 mars 2023, à laquelle un observateur
international mandaté par l’Observatoire a assisté, celui-ci a pu
constater que, malgré la présence de M. El Kadi au sein de la salle
d’audience, il n’a pas disposé du temps nécessaire afin de s’exprimer
sur son dossier. Lors de cette audience, le Procureur a requis cinq ans
de prison, ainsi que l’interdiction d’exercer les fonctions de dirigeant
de médias à l’encontre de M. El Kadi, peine à laquelle il n’a
finalement pas été condamné.
Le 2 avril 2023, le Tribunal de Sidi M’hamed a condamné en première instance
Ihsane El Kadi à une peine de cinq ans de prison, dont trois ans ferme,
assortie d’une amende de 700 000 dinars (environ 4 726 Euros). Le
Tribunal a également prononcé la dissolution d’Interface Médias ainsi
que la confiscation des biens saisis, assorties d’une amende de 10
millions de dinars (environ 67 524 Euros), et imposé un million de
dinars (environ 6 752 Euros) de dommages et intérêts pour l’ARAV. Ihsane
El Kadi et le parquet ont interjeté appel de cette décision.
L’Observatoire rappelle également que suite à son arrestation, Ihsane
El Kadi a été directement visé par le Président algérien Abdelmadjid
Tebboune. Ce dernier l’a traité sur les antennes de la télévision
publique de « khabardji » (expression populaire infamante de la langue
algérienne désignant un « informateur » ou un « mouchard » collaborant
avec l’ennemi). Cette accusation, qui ne figure pas dans son dossier
d’instruction, constitue une atteinte manifeste au principe de
l’indépendance de la justice.
L’Observatoire rappelle enfin que la condamnation d’Ihsane El Kadi intervient dans un contexte de rétrécissement de l’espace civique et de répression
de toutes les voix dissidentes dans le pays, marqué par des attaques
systématiques des autorités aux droits à la liberté d’association, de
réunion et d’expression, en réaction notamment au soulèvement populaire
du Hirak qui a débuté en février 2019.
L’Observatoire dénonce la condamnation et l’aggravation en appel de
la peine prononcée à l’encontre d’Ihsane El Kadi qui ne visent qu’à le
sanctionner pour ses activités légitimes en tant que journaliste et
défenseur des droits humains.
L’Observatoire appelle les autorités algériennes à annuler la
condamnation d’Ihsane El Kadi, à le libérer immédiatement, et à mettre
un terme à toutes poursuites et actes de harcèlement, y compris au
niveau judiciaire, à son encontre ainsi qu’à celle de tou·tes les
défenseur·es des droits humains dans le pays.
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