#24 - 10 avril 2020

La ville en mode sans échec

« Toutes les familles heureuses le sont de la même manière, les familles malheureuses le sont chacune à leur façon. » Il n’en va pas des villes comme de ces familles qu’évoque Tolstoï au début d’Anna Karénine : toutes se ressemblent dans le drame que nous vivons. Les photos des grandes métropoles qui tournent en boucle dans les médias ne nous montrent ni la place de la Concorde à Paris, ni Times Square à New York ni les autoroutes de Bogota : elles nous disent l’absence. L’absence de flux, l’absence de bruit, l’absence de pollution, l’absence d’êtres humains.

Cette promenade virtuelle à travers les villes en crise nous rappelle en creux ce que sont les villes. Ce que l’épidémie de COVID-19 casse dans les villes, c’est leur rôle de commutateur d’échelles. Le confinement, l’assignation forcée à résidence dans un périmètre limité au kilomètre ont fait disparaître les échelles multiples dans lesquelles nous exercions jusqu’alors nos activités quotidiennes. La ville, l’agglomération, l’aire urbaine ont disparu. Que dire des villes du pays voisin ou du reste du monde, qui sont devenues de simples récits auxquels on accède via les réseaux sociaux quand elles ne sont pas réduites à des courbes épidémiologiques ou de mortalité ? Une seule expérience concrète subsiste : le quartier, où je fais mes courses ou mon exercice physique, est devenu la seule échelle de nos vies, notre bassin de vie voire d’emploi pour ceux d’entre nous qui sont en télétravail. La ville, la ville concrète, la ville vécue n’est plus que ce que j’en vois ou j’en parcours : le lieu où j’habite et un cercle d’un kilomètre autour. Elle s’organise à l’échelle de notre corps, de nos besoins fondamentaux.

Ce faisant, la ville nous donne paradoxalement à voir son immense force. Comme nous, la ville est revenue, littéralement, à ses fondamentaux : faire fonctionner, quand ils existent, les réseaux d’adduction d’eau, d’électricité, de gaz, d’enlèvement et de traitement des ordures ménagères, la ville des câbles, de la fibre internet. La ville souterraine, invisible, la ville des infrastructures cachées, la ville essentielle est bien présente. Elle ne vacille pas. Un informaticien dirait qu’elle est passée en mode sans échec. La ville des réseaux est plus smart que jamais au sens où elle a su s’adapter d’une manière phénoménale à une situation qu’elle n’avait pas connue depuis les grandes épidémies de choléra au XIXè siècle : elle fait ce qu’on lui demande, fonctionner, soutenue par les services publics municipaux, ses délégués et ses concessionnaires. Public, privé : la summa divisio chère à nos vieux réflexes hexagonaux s’en est allée, tant mieux. Aujourd’hui, il y a l’essentiel, et le reste.

Et cet essentiel, ce sont aussi nos institutions politiques municipales, fortes malgré la confusion d’un premier tour organisé sur fond de dissonance cognitive maximale (« restez chez vous mais allez voter »). Si nos villes ne ressemblent en rien à des villes en guerre, c’est parce que, comme les soignants et tous ces invisibles qui ont été chassés du cœur des villes faute de logement abordable, leurs maires sont, eux, sur tous les fronts.

Mesdames et messieurs les élus municipaux, merci ! Car cette ville essentielle qui continue de fonctionner est prête à redémarrer à tout moment. Et nous avec ! – Cécile Maisonneuve, présidente


Pas le temps de lire ? L’équipe de La Fabrique de la Cité s’occupe de vous.

EN PREMIÈRE LIGNE – Anne-Marie Idrac, présidente de l’association France Logistique, créée en janvier 2020, revient dans un entretien pour Supply Chain Village sur « l’importance de nos métiers logistiques, et la notion de ‘chaîne’ » en période de crise. – Sarah Cosatto, chargée d’études

 

NOURRIR LA VILLE – Les mesures de confinement ont contribué à l’essor des circuits courts pour l’approvisionnement en nourriture des Français. Mais dans quelle mesure leurs habitudes de consommation ressortiront-elles changées de cette période, et quels défis se posent à cette filière ? La question se pose avec acuité alors que le marché d’intérêt national de Rungis a lancé la semaine passée la vente et la livraison directe aux particuliers habitant Paris et sa petite couronne. Une initiative inédite qui disrupte fortement le fonctionnement habituel des chaînes d’approvisionnement. – Sarah Cosatto

 

LA VOIE EST LIBRE – La crise sanitaire avec ses routes libres et ses habitants confinés à approvisionner ferait-elle de la logistique urbaine la grande gagnante alors que son caractère stratégique est mis à jour ? Laetitia Dablanc montre que la situation est bien plus complexe : entre baisse de la consommation, désorganisation et surtout imprévisibilité des commandes, manque de protection (sociale et sanitaire) des travailleurs de la logistique, le secteur souffre au même titre que les autres, révélant à cette occasion ses vulnérabilités pré-existantes. – Chloë Voisin-Bormuth, directrice des études et de la recherche

 

MASS TRANSIT(ION) – Aux États-Unis, les autorités organisatrices de transport regrettent déjà les trains bondés et les pannes. Les agences de transport, qui pâtissent de la crise économique provoquée par l’épidémie de COVID-19, craignent la situation actuelle qui pourrait se révéler pire que celle après la Grande récession de 2008 dont les effets ont duré près d’une décennie. Dès aujourd’hui, ces dernières s’interrogent sur la manière de concevoir les transports collectifs en vue de la reprise. – Camille Combe, chargé de mission

 

LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE, UN ENJEU SYSTÉMIQUE – Alors que les villes françaises et européennes semblent très largement en-deçà des risques de rupture de l’approvisionnement de produits frais, malgré de réelles difficultés pour récolter certaines productions de saison, les impacts de la crise sanitaire du Covid-19 sur l’agriculture du Sahel font craindre un risque systémique sur la sécurité alimentaire des populations de la région, y compris celles des principales villes. – Raphaël Languillon-Aussel, chargé d’études senior

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