L'édito de Vincent
Comme le disait Pierre Dac, la prévision est difficile surtout lorsqu'elle concerne l'avenir. Alors soyons modestes et intéressons-nous aux grandes questions qui sont sur la table avant d’esquisser les premières réponses. Un peu de macro d’abord. On nous avait promis le pire pour 2023 et on a fini l’année avec un CAC 40 et un S&P 500 au plus haut. On se refait peur en cette rentrée suite à des micro-mouvements (rebond de l’inflation en France en décembre, augmentation des salaires plus forte qu’attendue aux US ou encore fléchissement du marché obligataire), mais les voyants restent clairement au vert : 1) la croissance et l’emploi ont bien résisté à la hausse des taux et 2) la forte inflation est derrière nous.
En novembre 2023, le niveau d’inflation annuelle au UK est passé en dessous du taux directeur de la BoE, ce qui n’était pas arrivé depuis 2016 et on voit des tendances comparables aux US. Les taux des banques centrales baisseront en 2024, mais la première grande question concerne la durée du plateau et l’ampleur de la baisse. Entre le 31/12/23 et le 5/01/24, les marchés ont abaissé légèrement leurs anticipations, en raison des éléments évoqués plus haut, mais l’optimisme reste de mise : -1,4% en 2024 pour le taux directeur de la FED (versus -1,55% dans les anticipations du 31/12/23) et -1,45% pour la BCE (versus -1,6%). Autre enjeu, est-ce que l’évolution de l’inflation, sur laquelle on est serein, sera la seule boussole des banques centrales ? Les faucons vont-ils revenir pour expliquer que le maintien de taux élevés permet de faire dégonfler la bulle immobilière ? Pas impossible !
Et on peut ainsi faire la transition avec notre deuxième grande question : que vont faire les prix immobiliers en 2024 ? Dans le résidentiel, on a écrit ici pendant toute l’année que les baisses des prix seraient limitées et temporaires. Et c’est clairement le cas ! Les prix des logements aux US sont rentrés dans le 9ème mois de hausse et même Manhattan est repassé en positif au Q4 23 après 4 trimestres de légère correction (-9% au plus bas du cycle). 3 mois consécutifs d’augmentation des prix au UK comme en Norvège, que l’on qualifiait de marché immobilier malade. Rendez-vous en mars ou avril en France pour le même constat ? Dans l’immobilier commercial (notamment bureau et commerce), les baisses seront moins limitées et surtout moins temporaires. On en parle dans notre premier focus dédié aux Zombie Buildings, ces immeubles qu'on trouvent parfois même dans les centres-villes et qui, en l’état, ne retrouveront pas leur attractivité avant plusieurs décennies. Rien que cette semaine, 2 immeubles de bureaux situés à 10min à pied de la Maison-Blanche, et valorisés autour de 50m€ en 2015 ont été vendus avec des discount de 70%…
Reste enfin la question du volume de constructions et de transactions au cours de l’année à venir. Attentisme, sur le trend de 2023, ou sursaut ? On parle de ce sujet dans le focus dédié aux Zombie Buildings, car il est plus que jamais temps de réhabiliter ces actifs, et surtout dans notre 2ème focus consacré au “builder’s remedy” c’est à dire la perte du droit d’urbanisme des villes californiennes qui n’avaient pas vu leur plan de l’habitat approuvé par l'Etat avant le 31/12/2023. Pour finir, rappelons que les prix et les volumes ne sont pas des données totalement indépendantes. J’ai fait un petit graphique ci-dessous pour illustrer le problème du logement en France : quand la demande augmente (D1), les prix explosent (P1 très supérieur à P0), et quand la demande baisse (D2), les prix décroissent très légèrement (P2 à peine inférieur à P0). En cause ? Une courbe de l’offre en L inversé (en gris) à laquelle il faut s’attaquer de toute urgence pour éviter que la baisse des taux n’entraine une trop fort augmentation du prix des logements.
Meilleurs voeux à tous pour 2024 ! Ceux de Real Estech : construire plus, réhabiliter et transformer davantage, surélever autant que possible, simplifier tout ce qui peut l’être, faire du grand et oser le beau.
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Evolution des prix en fonction d'une hausse ou baisse de la demande. Analyse du secteur résidentiel en France.
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Focus 1 |
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2024, au revoir les Zombie Buildings des centres-villes? |
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On a beaucoup parlé pendant la Covid-19 des entreprises zombies, ces entreprises qui auraient dû disparaitre pour des raisons business mais qui se sont maintenues grâce aux aides de l’Etat et notamment au PGE. Et bien devinez quoi, il existe aussi des Zombie Buildings selon une expression anglo-saxone qui commence à gagner en popularité. Il s’agit d’immeubles dont le taux de vacance élevé n’est pas du à une crise conjoncturelle mais à des éléments structurels : télétravail, perte d’attractivité de la zone, hausse de l’insécurité, etc. Autre caractéristique de l’immeuble zombie, on le sauve rarement avec seulement quelques travaux de modernisation. Le remède est plus radical : changement de destination, restructuration complète voire démolition, etc.
Avant de vous donner quelques éléments d’espoir pour 2024, disons d’abord pourquoi il est urgent de s’attaquer à ces actifs en déshérence. La zombie economy, pour les entreprises comme pour les immeubles, génèrent des externalités négatives. En effet, nous vivons dans un monde aux ressources finies ce qui revient à dire que les ressources allouées aux zombies ne le sont pas aux activités durables. C’est le cas des salariés d’une entreprise qui aurait du disparaitre et qui du coup ne sont pas mobilisables dans une autre entreprise qui voit sa croissance ralentir en raison d’un manque de main d’oeuvre. C’est la même chose pour l’immobilier où la ressource finie est d’abord le foncier. En maintenant un immeuble vide sur un terrain on s’interdit par définition d’en faire un autre sur cette même parcelle. Et c’est encore pire avec la raréfaction administrative du foncier liée à des PLU trop restrictifs ou aux réglementations comme la ZAN.
Ces actifs immobiliers en perdition ne se trouvent pas uniquement en périphérie lointaine des métropoles. Des chiffres cités par The Economist montrent que les taux de vacances des 3 zones urbaines tertiaires (Central Business District, Secondary Business District et Suburban) ont fortement convergé entre 2019 et 2021 pour atteindre 13% chacun. En 2019, c’était 7% pour la zone centrale et 10,5% pour les deux autres. A New York, on observe par exemple une forte augmentation de la vacance à Manhattan Downtown depuis la covid. En cause, la réduction des surfaces et le déménagement vers Midtown de nombreuses sociétés en raison du meilleur accès via Grand Central pour des collaborateurs qui viennent de plus en plus loin. Exemple avec le déplacement du siège de Deutsche Bank de Wall Street (Downtown) à la 59ème (tout proche de Central Park, donc midtown). Résultat ? 150 000m2 totalement vides depuis 18 mois malgré les 250m€ investis par GIC dans la rénovation de l’actif en 2021.
Si vous cherchez des zombie asset en France, ne vous contentez pas de chasser dans les zones tertiaires en grande difficulté comme à Saint-Denis, Aubervilliers ou Rueil. La bonne nouvelle c’est que les élus locaux semblent de plus en plus ouverts à ce type de restructuration. Et si cela ne suffit pas, il y a toujours la proposition de Real Estech concernant la transformation bureau/logement dont il faut parler à votre député !
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Après une expérience réussie dans son agence de Nantes, la société Acorus, une PME d’environ 280 M€ de CA spécialisée dans les travaux de rénovation, a décidé de jouer la carte de la semaine de quatre jours. Dès le 1er mars prochain, la durée hebdomadaire du travail sera ramenée de 39h à 35h effectives sur 4 jours et à salaire égal pour les deux tiers de ses salariés, soit un peu plus de 1.000 personnes.
La forte baisse du turnover, la réduction de l’absentéisme et des accidents du travail, et une meilleure attractivité de l’entreprise semblent refléter les bénéfices partagés de ce dispositif entre l’employeur et les salariés. D’autres exemples existent dans le secteur de la construction avec le Groupe Dubois qui a introduit la semaine de 4 jours 1 semaine sur 2.
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Focus 2 |
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Californie : l'Etat et les promoteurs alliés contre les villes non-batisseuses |
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En février dernier, nous vous parlions du “builder’s remedy” autrement dit la perte du droit d’urbanisme des villes californiennes qui n’avaient pas vu leur plan de l’habitat approuvé par l'Etat avant le 31 janvier 2023. En conséquence, ces villes ne peuvent plus refuser des demandes de permis de construire pour des immeubles de n'importe quelle hauteur et densité, à condition qu'au moins 20 % des logements soient réservés aux résidents à faible revenu qui gagnent 80 % ou moins du revenu médian de la région. A ce jour, près d’une ville sur trois est concernée dans l'Etat.
Concrètement, les collectivités peuvent toujours empêcher un projet et il faut alors que le promoteur porte le sujet devant la justice. C’est ce qu’a fait WS Communities qui a déposé pas moins de 14 demandes préliminaires de logement dans la ville de Santa Monica. Un autre promoteur, Leo Pustilnikov, a déposé des plans pour construire 2.600 logements sur le site de l'ancienne centrale électrique AES à Redondo Beach, commune de la banlieue sud de Los Angeles, et, sans réponse, s’est tourné vers la justice. Ces initiatives ont obtenu un puissant coup de projecteur. En décembre, le gouverneur Gavin Newsom et le procureur général de l'État, Rob Bonta, ont annoncé qu'ils allaient soutenir un promoteur dans son combat juridique l’opposant à la ville de La Cañada Flintridge, en banlieue de Los Angeles, pour la construction d’un ensemble de 80 logements, un hôtel et du bureau.
Cette intervention devrait également servir d'avertissement à San Francisco, où le conseil vient d’amender la législation de la maire London Breed qui visait à rationaliser le processus d'autorisation notoirement long et complexe de la ville. La ville échappe pour l’instant à la décertification de son plan de l’habitat, ce qui aurait ouvert le builder’s remedy à des projets comme le gratte-ciel proposé de 50 étages au milieu d’un quartier pavillonnaire de la ville, Sunset.
La décision de Bonta et Newsom est probablement l’avant-goût d’une action plus agressive à venir. Depuis le 1er janvier 2024, le bureau du procureur général a le droit d'engager toute poursuite intentée pour une violation potentielle de la loi sur le logement. Il se murmure que Bonta, qui envisage sérieusement de se présenter au poste de gouverneur, a compris qu’être pro-logement était un bon positionnement politique. Avis aux politiques qui nous lisent !
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Les Proptech au top
En France :
- Moins de 15 mois après sa première levée de fonds, FlexLiving, la startup du “logement flexible pour les travailleurs en mobilité” créée en 2021 par 3 anciens collaborateurs de BNP Paribas Real Estate, a levé 1,6 M€ auprès de divers Business Angels. La proptech dispose désormais d’un parc de 350 logements à Paris qu’elle compte doubler d’ici 1 an afin d’atteindre la rentabilité dès cette année. Ses 3 offres FlexHouse, FlexQuarters et HyperFlex ont déjà séduit de nombreux grands comptes corporate en leur permettant d’économiser entre 20 et 40% par rapport aux autres solutions traditionnelles (hôtellerie classique par exemple), et ont permis de signer des partenariats avec des foncières de premier plan telles que Gecina et Primonial REIM.
Aux US :
- Un peu de répit pour les cours de bourse de 2 Proptech américaines présentent sur le segment de la transaction. Après des mois et des mois de chute libre, elles reprennent un peu de couleurs depuis novembre 2023 :
- Compass, l’agence immobilière 100% en ligne regroupant plus de 28.000 agents indépendants aux US, s’établit à 3,52 $ exactement 2 mois après avoir connu un plus bas à 1,82 $.
- Opendoor, l’un des derniers grands iBuyers américains, s’affiche à 3,70 $ contre 1,89 $ rencontré le 01/11/2023.
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Les Proptech qui flop
Aux US :
- La proptech Flyhomes fondée en 2016 à Seattle et spécialisée dans le courtage immobilier et le financement hypothécaire a récemment annoncé une troisième vague de licenciements depuis 2022, affectant 20% de son effectif. La société s'est distinguée par son modèle « acheter-avant-de-vendre », permettant aux vendeurs de logements d'acheter un nouveau bien grâce à un prêt à court terme de Flyhomes, puis de le refinancer en hypothèque classique une fois leur ancienne propriété vendue. Mais ce modèle innovant qui avait permis de lever plus de 300 M$ est frappé par la hausse marquée des taux d’intérêtset la baisse de la demande.
- Dans un mouvement surprenant, la startup Frontdesk a licencié l'ensemble de ses 200 employés via un appel Google Meet de deux minutes. La proptech qui avait levé plus de 26 M$ était connue pour la gestion de plus de 1.000 biens meublés destinés à la location court terme aux US. Mais moins d'un an après l'acquisition de son concurrent basé à Chicago, Zencity, l’entreprise a échoué dans ses tentatives de lever davantage de capitaux, ce qui a conduit à cette décision drastique. Cette nouvelle déconvenue souligne les défis auxquels sont confrontées les proptech dans le climat économique actuel, en particulier en matière de financement et de gestion de la croissance.
- Après 15 ans d’existence, la startup spécialisée dans la construction modulaire Veev a récemment mis la clé sous le paillasson et a été reprise par Lennar, le géant de la construction de maisons individuelles originaire de Floride. Veev visait à révolutionner la construction de logements grâce à un système de panneaux préfabriqués, promettant de réduire les coûts et les délais de construction, ce qui lui avait permis de lever près de 600 M$ et de compter jusqu'à 400 employés. Après une première tentative de repositionnement sur la construction de maisons individuelles plutôt que des bâtiments de grande hauteur, et l’échec de nouvelles levées de fonds qui lui auraient permis de poursuivre ses opérations et de faire face à ses obligations financières liées à l'acquisition de plusieurs terrains à bâtir en Californie, la proptech autrefois évaluée à 1 milliard de $ a été acquise par Lennar pour seulement "plusieurs dizaines de millions" de $.
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- Plusieurs experts alertent d’une baisse des taux bancaires limitée au premier trimestre une fois que les banques auront fait leur conquête client de l’année
- Le remaniement ministériel et le mercato des conseillers qui en découle pourrait impacter les dirigeants du monde du logement social. Côté politique, peu de monde se bouscule au portillon après les expériences des deux précédents ministres
- Les ateliers pour faire des propositions sur le logement “sans coût pour les finances publiques” se multiplient. Ce qu’on avait fait chez Real Estech il y a un an dans le JDD. Signe de la victoire idéologique de Bercy ?
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