L’Observatoire a été informé de la condamnation du journaliste Ihsane El Kadi, membre fondateur et directeur du pôle éditorial de la web radio Radio M et du site d’informations en ligne Maghreb Émergent,
deux médias indépendants. Fervent défenseur du droit à la liberté
d’expression en Algérie et dans les pays du Maghreb, il a exprimé à
plusieurs reprises son soutien au mouvement pacifiste pro démocratie
Hirak, et a été condamné par le passé pour avoir exprimé ses opinions
critiques envers le régime.
Le 2 avril 2023, le Tribunal de Sidi M’hamed, à Alger, a condamné
Ihsane El Kadi à une peine de cinq ans de prison, dont trois ans ferme,
assortie d’une amende de 700 000 dinars (environ 4 726 Euros) pour «
réception de fonds de l’étranger à des fins de propagande », « pour
accomplir des actes susceptibles de porter atteinte à la sécurité
nationale et au fonctionnement normal des institutions » (Articles 95 et
95 bis du Code pénal algérien, respectivement). Le Tribunal a également
prononcé la dissolution d’Interface Médias, société éditrice des médias
Radio M et Maghreb Emergent, et la confiscation des biens saisis,
assorties d’une amende de 10 millions de dinars (environ 67 524 Euros).
Le tribunal a également réclamé un million de dinars (environ 6 752
Euros) de dommages et intérêts pour l’Autorité de régulation de
l’audiovisuel (ARAV). Ihsane El Kadi a interjeté appel depuis la prison
d’El Harrach à Alger, où il était détenu au moment de la publication de
cet Appel Urgent.
L’Observatoire rappelle qu’Ihsane El Kadi a été arbitrairement arrêté
le 24 décembre 2022. Le lendemain, les locaux d’Interface Médias ont
été mis sous scellés, en dehors de toute procédure judiciaire et avant
même qu’une enquête ne soit officiellement ouverte.
Le 12 mars 2023, le procès de M. El Kadi s’est ouvert devant le
Tribunal de Sidi M’hamed. Lors de cette audience, le tribunal a décidé
de tenir le procès en visioconférence sans en informer au préalable ni
le prévenu, ni ses avocats, qui ont refusé cette modalité et ont demandé
le report de l’audience afin qu’il puisse y assister en personne. Le
juge a finalement ordonné le report du procès au 26 mars 2023, sans
donner suite aux prétentions de la défense mais en invoquant l’absence
de plusieurs témoins et du représentant de l’ARAV, qui s’est constituée
partie civile contre Interface Media alors que les deux médias
incriminés ne dépendent pas légalement de cette instance. De nombreuses
autres irrégularités et entorses ont été constatées par les avocats de la défense tout au long de la procédure.
Au cours de l’audience du 26 mars 2023, à laquelle un observateur
international mandaté par l’Observatoire a assisté, celui-ci a pu
constater que, malgré la présence de M. El Kadi au sein de la salle
d’audience, il n’a pas disposé du temps nécessaire afin de s’exprimer
sur son dossier. Lors de cette audience, le Procureur avait requis cinq
ans de prison, ainsi que l’interdiction d’exercer les fonctions de
dirigeant de médias à l’encontre de M. El Kadi, peine à laquelle il n’a
finalement pas été condamné.
L’Observatoire rappelle également que suite à son arrestation, Ihsane
El Kadi a été directement visé par le Président algérien Abdelmadjid
Tebboune. Ce dernier l’a traité sur les antennes de la télévision
publique de « khabardji » (expression populaire infamante de la langue
algérienne désignant un « informateur » ou un « mouchard » collaborant
avec l’ennemi). Cette accusation, qui ne figure pas dans son dossier
d’instruction, constitue une atteinte manifeste au principe de
l’indépendance de la justice.
L’Observatoire rappelle enfin que la condamnation d’Ihsane El Kadi intervient dans un contexte de rétrécissement de l’espace civique
et de répression de toutes les voix dissidentes dans le pays, marqué
par des attaques systématiques des autorités aux droits à la liberté
d’association, de réunion et d’expression, en réaction notamment au
soulèvement populaire du Hirak qui a débuté en février 2019.
L’Observatoire dénonce la condamnation d’Ihsane El Kadi qui ne vise
qu’à le sanctionner pour ses activités légitimes en tant que journaliste
et défenseur des droits humains.
L’Observatoire appelle les autorités algériennes à annuler la
condamnation d’Ihsane El Kadi, à le libérer immédiatement, et à mettre
un terme à toutes poursuites et actes de harcèlement, y compris au
niveau judiciaire, à son encontre ainsi qu’à celle de tou·tes les
défenseur·es des droits humains dans le pays.
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