L’Observatoire a été informé des
attaques et actes d’intimidation à l’encontre de DAMJ, Association
tunisienne pour la justice et l’égalité, et de la coordinatrice de son
bureau de Sfax, Mme Mira Ben Salah (de son nom de
naissance Amine Ben Salah). DAMJ est une organisation œuvrant à la
promotion de la justice, de l’égalité et de l’inclusion des communautés
les plus vulnérables en Tunisie, et en particulier la communauté
LGBTIQ+. L’organisation travaille activement à la protection des
personnes marginalisées, discriminées et criminalisées du fait de leur
identité de genre ou de leur orientation sexuelle.
Le 27 février 2024, le bureau de
l’association DAMJ situé à Sfax a fait l’objet d’une descente de police.
Aux alentours de 11 heures, la coordinatrice du bureau Mira Ben Salah a
entendu des coups de poings et coups de pieds agressifs sur la porte du
bureau. Effrayée, elle n’a pas immédiatement répondu mais a fini par
ouvrir la porte tandis que les individus tentaient de forcer l’entrée à
l’aide d’un objet en acier. Lorsqu’elle a ouvert la porte, trois hommes
en civil se sont présentés comme des policiers et ont demandé à voir la
pièce d’identité de Mme Ben Salah et d’avoir accès au bureau. Mme Ben
Salah a demandé que lui soit présenté un mandat de perquisition, sans
quoi elle refuserait l’accès au bureau et ne présenterait sa carte
d’identité que si elle recevait une convocation officielle.
Face au refus de Mira Ben Salah,
l’un des policiers s’est montré de plus en plus agressif, a tenté de la
pousser, a menacé de la placer en garde à vue et a affirmé que les
activités de l’association étaient illégales. Mme Ben Salah n’a pas cédé
aux menaces et les policiers sont repartis. Des voisins ont informé les
membres de DAMJ qu’avant de se présenter à leur bureau, les policiers
avaient questionné les habitant·es de l’immeuble quant aux activités de
l’association et à l’identité de ses bénéficiaires.
Le même jour, suite à la visite des
agents de police, le bureau de l’association a reçu six appels des
services de police. Mme Ben Salah a été sommée de se présenter au poste
de police le plus rapidement possible avec son contrat de travail ainsi
que les documents attestant du statut juridique de l’association, sans
quoi des agents de police reviendraient avec un mandat de perquisition.
Mme Ben Salah s’est alors présentée au poste de police accompagnée d’une
avocate et a affirmé vouloir porter plainte pour harcèlement contre le
policier qui l’avait menacée. La plainte a finalement été déposée auprès
du procureur de la République le 29 mars 2024.
Depuis ces incidents du 27 février
2024, Mira Ben Salah affirme faire l’objet de harcèlement croissant de
la part des forces de l’ordre, dont la présence autour du bureau de DAMJ
s’est renforcée. Les agents de police contrôlent son identité quasi
quotidiennement et accompagnent ces contrôles de moqueries et insultes
liées à l’identité de genre de Mme Ben Salah. Les bénéficiaires de DAMJ
se sentent également plus exposé·es et craignent pour leur sécurité
lorsqu’ils et elles se rendent au bureau de l’association.
Par ailleurs, les 19 et 22 février
2024, Mme Ben Salah avait déjà fait l’objet de harcèlement à travers
plusieurs appels téléphoniques au cours desquels elle a reçu des
menaces, y compris des menaces de mort.
L’Observatoire précise que ces actes d’intimidation font suite à la dénonciation par DAMJ, dans un communiqué
du 26 janvier 2024, de l’intensification des menaces à l’encontre de la
communauté LGBTIQ+ et de ses défenseur·es de la part des autorités
tunisiennes. Le communiqué évoquait notamment la déclaration portée par
des parlementaires le 1er
décembre 2023, lors d’une séance plénière de l’Assemblée des
représentants du peuple (ARP) en présence de la ministre de la Famille,
de la Femme, de l'Enfant et des Personnes âgées, selon lesquels il était
essentiel de contrer le phénomène portant atteinte à la famille
traditionnelle, en faisant référence à l'homosexualité. DAMJ a également
documenté l’arrestation arbitraire et la criminalisation d’au moins 10
personnes en janvier 2024 du fait de leur appartenance à la communauté
LGBTIQ+.
L’Observatoire rappelle par ailleurs
que ce n’est pas la première fois que l’association DAMJ et ses membres
font l’objet de menaces du fait de leurs activités. En août 2023, Malek
Khedhri, un créateur de contenu tunisien, a utilisé les plateformes
Instagram et TikTok pour lancer une campagne de haine et de violence
contre la communauté LGBTIQ+. Ses comptes Instagram et TikTok ont alors
été suspendus grâce aux signalements massifs de la communauté, suite à
quoi le créateur de contenu a créé des groupes Telegram rassemblant
environ 1000 participants, au sein desquels ont été partagées des photos
et des vidéos de membres de DAMJ, y compris de Mme Mira Ben Salah,
ainsi que les adresses et les numéros des bureaux de l’association,
appelant à la violence et aux attaques contre les membres de DAMJ et les
bénéficiaires de l’association.
Le 8 août 2023, DAMJ a déposé une
plainte contre Malek Khedhri auprès du procureur de la République près
le Tribunal de première instance de Tunis. Le créateur de contenu a été
convoqué, interrogé, puis poursuivi devant le Tribunal de première
instance de Tunis. Au moment de la publication de cet Appel Urgent,
l’'affaire est toujours en cours et la prochaine audience est prévue
pour le 29 avril 2024.
En outre, en juillet 2023, le bureau
de Sfax de DAMJ avait déjà fait l’objet de harcèlement téléphonique de
la part des services de police menaçant l’association de perquisitionner
leur bureau et de remettre en cause la légalité de leurs activités. Le
21 août 2023, DAMJ a déposé une plainte auprès de l'inspection générale
du Ministère de l'intérieur, demandant une enquête administrative. Au
moment de la publication de cet Appel Urgent, aucune suite n’a été
donnée à cette demande.
L’Observatoire rappelle également que DAMJ fait l’objet de menaces et d’actes de harcèlement depuis de nombreuses années. En mars 2021,
plusieurs membres de l’association avaient fait l’objet d’actes de
surveillance, d’agressions, d’arrestations et de détention arbitraires,
de harcèlement judiciaire, de menaces de mort et d’intrusion à leur
domicile.
L’Observatoire exprime sa vive
inquiétude face aux nouvelles attaques et actes d’intimidation à
l’encontre de DAMJ et de ses membres, qui ne semblent viser qu’à les
dissuader d’exercer leurs activités légitimes de défense des droits
humains.
L’Observatoire appelle les autorités
tunisiennes, et en particulier le Ministère de l’intérieur, à mettre un
terme à toute forme de harcèlement et d’intimidation à l’encontre des
membres de DAMJ, et à mener une enquête indépendante, rigoureuse,
impartiale et transparente afin d’en identifier les responsables et de
les traduire devant un tribunal indépendant, compétent et impartial.
L’Observatoire appelle également les
autorités tunisiennes, et en particulier le Ministère de l’intérieur, à
prendre toutes les mesures nécessaires afin d’assurer la sécurité de
Mira Ben Salah et de tou·tes les membres de DAMJ, et à garantir les
droits à la liberté d’association et d’expression dans le pays.
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