Chère lectrice, cher lecteur,
Ces jours-ci, dix ans auront passé depuis la catastrophe du réacteur de Fukushima. Comme l’écrit la Sonntagszeitung, la culture de l’erreur a été insuffisante. La surveillance et la réduction des risques ont fait défaut. Manque d’attention et indications ignorées ont entraîné de graves erreurs qui, ajoutées à un tremblement de terre et à un tsunami ont résulté en une catastrophe. Et pourtant, nous utilisons toujours de nouvelles centrales nucléaires dans le monde et l’énergie nucléaire reste une option valable dans l’optique d’une production d’électricité sans CO2.
La Suisse a pris la décision de sortir du nucléaire. Par une voie relativement pragmatique. Les centrales nucléaires existantes, tant qu’elles sont sûres, peuvent continuer à être exploitées. Par contre, la construction de nouvelles centrales est interdite. Actuellement, l’énergie nucléaire reste donc un pilier essentiel de l’approvisionnement en électricité en Suisse. Pour l’instant, de toute façon, personne ne construirait de nouvelles centrales nucléaires, car les conditions requises ne sont pas réunies sur le marché. Cela résout momentanément la quadrature du cercle. Nous continuons à profiter de l’énergie nucléaire tout en gardant la conscience tranquille. Mais ce faisant, notre transition énergétique n’est pas tout à fait sincère.
Pourtant, ce qui fonctionne à peu près à court terme va devenir un problème sur le long terme. Sans énergie nucléaire, le problème de l’insuffisance de l’approvisionnement en électricité en hiver ne fera en effet que s’aggraver. Le besoin d’importations augmentera. Et comme en Europe, d’autres font de même, cela fait longtemps déjà que la Commission fédérale de l’électricité (ElCom) met en garde contre des pénuries d’approvisionnement et des pannes généralisées. Puisque l’on a empêché des alternatives réalistes d’être opérationnelles, nous sommes sous la menace d’un effet boomerang. Et celui-ci a un coût: Andreas Hirstein a dédié une double page au prix de la transition énergétique dans la NZZ am Sonntag.
Les Allemands se sont montrés moins pragmatiques que les Suisses avec leur transition énergétique: ils ont arrêté leurs centrales nucléaires en deux temps, trois mouvements. Ce qui nuit déjà à l’environnement à court terme. Ils génèrent désormais l’électricité qui leur manque à partir de la lignite, comme l’expose dans l’émission «Sternstunde Philosophie» de la SRF Rafaela Hillerbrand, docteure en physique et en philosophie, professeure de philosophie des sciences et d’éthique de l’ITAS, un institut mondialement renommé d’évaluation des technologies à Karlsruhe. Pour le climat, il s’agit-là d’une alternative catastrophique. La professeure Hillerbrand plaide donc pour une discussion ouverte sur les opportunités et les risques des technologies. Horst-Michael Prasser, professeur émérite de systèmes d'énergie nucléaire à l'ETH Zurich, pose la question cruciale dans l'article précité de la Sonntagszeitung : « Le risque de l'énergie nucléaire est-il plus grand ou le risque de ne pas utiliser l'énergie nucléaire ? »
Le bilan est clair: faire l’autruche n’est pas une stratégie durable. Et il ne suffit pas non plus à l’État d’investir davantage dans la recherche fondamentale. Ça ne fonctionne pas comme ça. L’innovation nécessite du temps. Et c’est pour cela qu’il est peu judicieux de tirer à boulet rouge sur des technologies pour lesquelles il n’existe pas encore d’alternatives viables. Depuis des années, les lobbyistes de l’agriculture biologique promettent qu’il existera bientôt des solutions alternatives aux produits à base de cuivre utilisés comme fongicide sur les cultures. Pourtant, ce métal lourd continue d’être épandu. Cet exemple le montre: la recherche ne fonctionne pas en appuyant sur un bouton. Il faut également du temps pour élaborer des produits sûrs à partir des résultats de la recherche. Bien sûr, il existe déjà des alternatives au cuivre – qui d’ailleurs est déjà obtenu par synthèse – mais celles-ci reposent aussi sur la chimie de synthèse. Et désormais, une initiative populaire veut également interdire les produits phytosanitaires de synthèse. Le souverain se prononcera le 13 juin. Sans produits synthétiques à base de cuivre ni produits phytosanitaires de synthèse, les agriculteurs ne pourront plus protéger leurs cultures des maladies fongiques. C’est absolument irresponsable.
Selon la professeure Rafaela Hillerbrand, les technologies ne sont pas fondamentalement stigmatisées, mais les peurs qu’elles suscitent doivent être thématisées dans les campagnes de communication. Ce faisant, il faut aussi discuter des risques de la non-utilisation des technologies. Comme le montrent de récentes études, le naturel est l’une des clés de l’acceptation des technologies. Il est donc indispensable de montrer que les technologies comme le génie génétique et les produits phytosanitaires ont aussi une grande utilité pour l’environnement et le climat. Parallèlement, il est utile de rappeler une simple vérité: tant les substances naturelles que les substances chimiques comportent des risques.
Quelles leçons en tirer pour la politique? Étouffer les technologies sans stratégie n’est pas durable. Il y a fort à parier que les alternatives (pensons ici à la lignite) auront un effet encore plus néfaste. Et c’est pourquoi miser sur les importations pour combler un approvisionnement insuffisant en électricité en hiver ne présente presque aucun avantage pour l’environnement. Tout comme l’actuelle discussion au Parlement sur les produits phytosanitaires. Si un contre-projet inofficiel aux deux initiatives populaires débouche sur l’interdiction en Suisse de 80 pour cent des produits phytosanitaires connus, il s’agira alors encore d’une interdiction sans alternative. Les auteurs de l’initiative pourront s’en réjouir, puisqu’ils rêvent d’une agriculture sans pesticides. Pour la sécurité de l’approvisionnement en Suisse en revanche, ce serait désastreux. La production régionale chuterait et les importations alimentaires flamberaient.
Mais cela ne concerne pas uniquement l’agriculture suisse. D’un point de vue mondial également, le chemin emprunté n’est pas le bon. D’après le World Resource Institute, pour nourrir durablement dix milliards de personnes d’ici 2050, la productivité de l’agriculture mondiale doit augmenter massivement. Simultanément, il nous faut réduire les émissions de CO2. Bref, nous devons réussir à produire plus avec moins. L’efficacité des ressources est nécessaire dans tous les domaines. Mais pour cela, le secteur de l’alimentation a besoin de TOUTES les technologies disponibles, ainsi que d’une politique qui n’ignore pas les réalités ni ne cherche à s’y opposer. Le risque zéro n’est pas une option. Faute de quoi, nous conduirons nos systèmes alimentaires droit dans le mur, avec des conséquences catastrophiques. Notre société doit réapprendre à vivre avec les risques et à faire soigneusement la part des choses. Se concentrer uniquement sur certains risques et causer un blocage sectoriel total n’est pas une option rationnelle.
La rédaction de swiss-food.ch
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