L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains, un partenariat de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et de l’Organisation Mondiale contre la torture (OMCT), vous prie d’intervenir sur la situation suivante en République démocratique du Congo (RDC).
Description de la situation :
L'Observatoire a été informé de la détention arbitraire de Mme Gloria Sengha, fondatrice du mouvement citoyen Vigilance Citoyenne (VICI) et de la Dynamique « Tolembi Pasi » qui signifie « Nous en avons marre de la souffrance » en lingala. Lancé en mars 2023, « Tolembi Pasi » est un mouvement ayant vocation à œuvrer pour la justice sociale et la démocratie en République démocratique du Congo.
Le 17 mai 2024, Gloria Sengha a été arrêtée aux alentours de 17h par des hommes cagoulés en uniforme policier au niveau de la terrasse du Cercle Bimwala, non loin de la Paroisse Saint Eloi au quartier Bon Marché, dans la Commune de Barumbu, au nord de Kinshasa. Cette arrestation est intervenue à la fin d’une réunion de la Dynamique « Tolembi Pasi » dans le cadre de leur campagne de sensibilisation sur la vie chère à l’intention des jeunes désirant promouvoir les droits sociaux-économiques et le contrôle citoyen dans le pays. M. Robert Bunda, l’informaticien de l’équipe de Gloria Sengha, ainsi que M. Chadrack Tshadio, un ami de Robert Bunda qui avait simplement aidé à trouver le lieu de la réunion mais n’appartient pas à la Dynamique, ont également été arrêtés. Gloria Sengha, Robert Bunda et Chadrack Tshadio ont été brutalement embarqué·es de force et sans mandat d’arrêt à bord de deux Jeeps et ont été emmené·es vers une destination inconnue.
Le lendemain, le 18 mai 2024, leurs familles ont appris que Gloria Sengha, Robert Bunda et Chadrack Tshadio avaient été emmené·es dans les locaux de l’Unité de la Légion de la Police d’Intervention Rapide (PIR) non loin de Kimpwanza, dans la commune de Kasa-Vubu, où ils et elle ont été auditionné·es. Lors de l’interrogatoire, des agents de la PIR auraient tenté de les contraindre à faire de faux aveux visant à accuser Gloria Sengha de travailler avec des personnes cherchant à déstabiliser le pouvoir. A cette fin, Gloria Sengha aurait été bousculée et Robert Bunda aurait reçu des gifles et des coups de poing de la part des agents. Le jour de leur arrestation, après son interrogatoire à la PIR, Gloria Sengha a été transférée à l’Agence Nationale des Renseignements (ANR) à côté de la Primature, dans la commune de la Gombe à Kinshasa, sans que ses proches n’en soient informé·es.
Le 20 mai 2024, Chadrack Tshadio a été libéré, tandis que Robert Bunda a été transféré à l’ANR, sans que ses proches n’en soient informé·es.
Le 30 mai 2024, près de deux semaines après l’arrestation, la mère de Gloria Sengha a été avertie du transfert de sa fille à l’ANR. C’est en lui rendant visite le 3 juin 2024 qu’elle a également appris le transfert de Robert Bunda à l’ANR. En revanche, la mère de Robert Bunda n’a toujours pas été autorisée à voir son fils.
Au moment de la publication de cet Appel Urgent, Gloria Sengha et Robert Bunda sont arbitrairement détenu·es dans les locaux de l’ANR sans avoir été présenté·es à un juge ni avoir été informé·es officiellement des charges pesant à leur encontre. Malgré le courrier d’un avocat adressé à l’Administrateur Général de l’ANR afin de solliciter une consultation, l’accès à une assistance juridique leur a été refusé.
L’Observatoire est gravement préoccupé par la dégradation de l’état de santé de Gloria Sengha en détention. Suite à sa visite à l’ANR, sa mère rapporte de multiples infections, démangeaisons et gonflements sur le corps de sa fille qui ne parvient plus à marcher. Le 13 juin 2024, Gloria Sengha a débuté une grève de la faim pour réclamer sa libération.
Ces arrestations et détentions arbitraires, survenues à la suite d’une réunion pour la justice économique et sociale et pour la démocratie, sont emblématiques de la restriction croissante de l’espace civique en RDC, en particulier pour les défenseur·es des droits humains membres de mouvements citoyens. L’Observatoire rappelle à cet effet que Gloria Sengha et seize autres membres de VICI avaient déjà été arbitrairement détenu·es durant plus de deux semaines au mois de novembre 2018. Entre juin 2023 et avril 2024, le Bureau conjoint des Nations Unies pour les droits de l’Homme en RDC a recensé les cas de 387 défenseur·es des droits humains et 67 journalistes visés par des actes d'intimidation, de menaces de violence physique, d’attaques et de représailles, de la part des autorités congolaises et des groupes armés sévissant dans le pays. En ce sens, la Rapporteure spéciale des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits humains a appelé le 19 juin 2024 les autorités de la RDC à prendre « toutes les mesures nécessaires pour garantir un espace de travail sûr et la protection des défenseurs des droits humains, ainsi qu'à garantir l'exercice de leurs droits à la liberté de réunion et d'association pacifiques. »
L’Observatoire condamne fermement la détention arbitraire de Gloria Sengha, qui ne semble viser qu’à restreindre ses droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’expression, et à entraver ses activités légitimes de défense des droits humains.
L’Observatoire condamne également l’arrestation arbitraire de Chadrack Tshadio et la détention arbitraire de Robert Bunda, qui ne semblent avoir été visés qu’en raison du soutien logistique qu’ils ont apporté à l’organisation de la réunion de la Dynamique « Tolembi Pasi ».
L’Observatoire demande aux autorités de la RDC d’octroyer à Gloria Sengha et Robert Bunda un accès immédiat et inconditionnel à leur avocat et à des soins médicaux adéquats, et de leur permettre de recevoir la visite de leurs familles, conformément, entre autres, à l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus des Nations Unies.
L'Observatoire exhorte les autorités congolaises à libérer immédiatement Gloria Sengha et Robert Bunda et leur demande de mener une enquête sur les allégations de mauvais traitements à leur encontre pendant leur interrogatoire, et de mettre un terme à tout acte de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, et à tout acte d'intimidation à leur encontre, ainsi qu’à l’encontre de tou·tes les défenseur·es des droits humains dans le pays.
L'Observatoire appelle également les autorités congolaises à garantir en toutes circonstances le droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'expression, consacrés dans les instruments du droit international des droits humains auxquels la RDC est partie, en particulier les articles 19 et 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), ainsi que les articles 9, 10 et 11 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP).
|