Chère lectrice, cher lecteur,
Pour bien des gens aujourd’hui, une nourriture sûre, disponible et abordable va de soi. Grâce aux innovations, la production agricole s’est technicisée et est devenue plus efficace. En raison de la croissance ininterrompue de la population mondiale, l’agriculture doit nourrir de plus en plus de gens. Les surfaces agricoles utiles, par contre, n’augmentent pas. Pour produire plus, l’agriculture doit gagner en efficacité, tout en protégeant le climat et la biodiversité.
Le 13 juin prochain, le peuple et les cantons voteront sur deux initiatives agricoles. L’issue du scrutin sera cruciale. Car l’on ne se prononcera pas seulement sur les thèmes que suggèrent les titres des initiatives, comme une eau potable propre ou une production agricole, une transformation des produits agricoles et un entretien du territoire libres de pesticides de synthèse (produits phytosanitaires et biocides). Le résultat posera en effet aussi un jalon déterminant pour une alimentation durable en Suisse.
Déjà, une chose est sûre: les interdictions ne font avancer personne. L’agriculture a besoin de combiner ce qui se fait de mieux en matière de pratiques agricoles et de rassembler les connaissances issues de tous les domaines de la recherche, dans l’industrie, la recherche fondamentale et la recherche appliquée. Pour permettre à l’humanité de relever les défis du futur et garantir une agriculture moderne, efficace et durable, l’humanité a besoin de nouvelles innovations et de nouveaux progrès techniques.
À l’occasion des entretiens Swiss-Food du 29 mars 2021, trois experts indépendants renommés, issus des milieux de la science et de la défense des consommateurs, ont débattu des chances et des défis d’une agriculture durable.
Chez Agroscope, la priorité va à la recherche systémique Lutz Merbold, responsable agroécologie et environnement chez Agroscope, le centre de compétences de la Confédération en recherche agricole, a commencé par rappeler que les innovations dans les systèmes agricoles influencent non seulement l’agriculture, mais aussi de nombreux autres domaines de la société, telles la santé, la production d’énergie ou encore la formation. «Chez Agroscope, nous croyons en une agriculture adaptée au lieu et tenant compte des cartes des sols, de la biodiversité locale, des prévisions climatiques et des ravageurs, de la sélection et des technologies numériques. Les travaux de recherche d’Agroscope se fondent sur les principes de l’agroécologique et de l’économie circulaire», explique M. Merbold. Le développement de solutions pour réduire les produits phytosanitaires de synthèse et encourager les alternatives naturelles est l’un des volets des travaux de recherche d’Agroscope. «L’agriculture durable continuera de faire appel aux produits phytosanitaires biologiques et de synthèse. Ces produits doivent cependant devenir beaucoup plus ciblés et leur application doit recourir aux technologies modernes.»
De belles perspectives grâce à la numérisation et à la phénotypisation Achim Walter, professeur en sciences agraires à l’Institut des sciences végétales de l’EPFZ, s’est penché en particulier sur les perspectives offertes par la technologie pour une agriculture durable. Grâce aux progrès de la technologie, il a été possible d’accroître les rendements agricoles, de produire des aliments de meilleure qualité et d’augmenter l’efficacité de l’agriculture. Dans le même temps, pourtant, l’érosion des sols s’est aggravée, des résistances sont apparues et les atteintes à l’environnement se sont multipliées. «C’est à nous de trouver le bon équilibre pour pratiquer une agriculture durable. Au cours des cent dernières années, nous avons réussi à augmenter la production agricole. Durant les cent prochaines années, nous devrons réussir à la rendre plus efficace.»
«Une agriculture durable a besoin aussi des pesticides. Les risques que cela pose peuvent toutefois être beaucoup mieux surveillés. Un exemple en la matière est le Danemark, où l’utilisation des pesticides doit être communiquée aux autorités dans le cadre d’un monitorage.»
Le progrès technique est d’une importance capitale: «Il existe de nombreuses pistes pour rendre l’agriculture plus durable. Il faut par exemple bien sûr éviter les déchets alimentaires (gaspillage alimentaire), réduire ou consolider les cheptels et diversifier les cultures. Il faut toutefois avant tout miser sur la biotechnologie moderne, comme la technique CRISPR/Cas9, la numérisation et la phénotypisation. Cette technique consiste à analyser mesurer les phénotypes des plantes. Les chercheurs analysent par exemple l’architecture des bourgeons ou la vitesse de croissance des plantes. Sur la base de ces analyses détaillées, ils peuvent ensuite catégoriser correctement les gènes et les données génomiques au cours de la sélection végétale. Ils sont par exemple déjà capables de reconnaître, sur la base du phénotype d’un jeune plant, si celui-ci possède les propriétés recherchées, par exemple résister à une maladie ou croître dans différentes conditions climatiques.
L’agriculture de précision représente un autre domaine d’avenir. Des technologies ultraperfectionnées permettent de déterminer exactement quand, où et comment traiter les cultures. On peut ainsi doser et appliquer les pesticides avec beaucoup de précision.
Autre sujet développé par M. Walter, l’agriculture intelligente: «La transdisciplinarité doit faire partie intégrante de la recherche. Autrement dit, la recherche doit inclure les agriculteurs, les institutions et les besoins globaux dans ses travaux. Ce n’est qu’en reconnaissant la nécessité d’une telle approche et en oubliant les guerres de tranchées idéologiques que nous rendrons l’agriculture durable et aiderons à lutter contre la faim dans les pays du Sud.»
Une discussion honnête sur la sécurité des aliments Bill Wirtz, Senior Policy Analyst au Consumer Choice Centers à Bruxelles (organisation de défense des consommateurs présente dans plus de cent pays), a publié l’année dernière une prise de position très remarquée sur l’agriculture durable, qui reflète le point de vue des consommateurs. «L’agriculture se trouve aujourd’hui au centre d’une bataille idéologique qui s’est trop souvent éloignée des besoins des agriculteurs et des consommateurs. Il devient toujours plus difficile de concevoir une politique basée sur des preuves. Ce faisant, nous oublions que les ravageurs, les maladies et la protection phytosanitaire ne sont pas politiques.»
M. Wirtz notait ainsi que 55% des pesticides sont moins toxiques que la vitamine C, que 89% le sont moins que l’Ibuprofen et que 98% le sont moins que l’aspirine et la caféine. «Si nous renoncions aux pesticides, entre 50% et 80% des récoltes seraient perdues». Si l’agriculture passait au tout bio, les émissions de gaz à effet de serre augmenteraient de 70%. Les importations d’outre-mer aussi seraient en hausse.
Bill Wirtz a également tordu le cou à une croyance très répandue, selon laquelle les aliments bio ne seraient pas traités aux pesticides. «L’exemple de la France montre que les ventes de soufre et de sulfate de cuivre – les deux pesticides de synthèse les plus utilisés dans l’agriculture bio – ont augmenté après l’adoption en 2016 d’un objectif de réduction des pesticides de 50% d’ici 2025, qui correspond peu ou prou à la stratégie «De la ferme à la table» de l’Union européenne, qui prévoit de réduire de 50% l’utilisation des pesticides d’ici à 2030.
M. Wirtz recommande de nouer le dialogue avec les agriculteurs pour savoir ce dont ils ont vraiment besoin avant de juger sans connaître ni comprendre leurs besoins.
M. Wirtz regrette également que les nouvelles technologies soient mal acceptées. «S’agissant des innovations et des nouvelles techniques agricoles, l’Europe est en retard sur d’autres régions du monde. Simultanément, elle restreint l’utilisation des produits phytosanitaires modernes. L’agriculture bio, mesure de toutes choses, est encouragée unilatéralement par la politique. Il serait temps d’avoir une discussion honnête sur la sécurité alimentaire, par exemple sur le thème des mycotoxines, et de s’interroger de manière critique sur le principe de prévoyance et de soupeser les pour et les contre de différents scénarios réalistes. Sur la base de faits concrets, et non de la couleur politique.»
Les textes et les présentations sont disponibles à l’adresse suivante.
Joyeuses Pâques.
La rédaction de swiss-food.ch
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