Chère lectrice, cher lecteur,
L’initiative pour l’interdiction des pesticides diminue la production régionale. Dans le dernier Magazine Migros, le président de la Direction générale de la Fédération des coopératives Migros, Fabrice Zumbrunnen, en résume les conséquences en deux phrases: «Le texte sur les pesticides par exemple entraînerait davantage de pertes dans la production et une baisse de la capacité de l’agriculture suisse à pourvoir aux besoins de la population, c’est évident. Il y aurait donc des incidences sur l’offre des produits et sur la compétitivité des prix.» Les entreprises de transformation alimentaire aussi rejettent les deux initiatives agricoles. Si elles sont tributaires de matières premières régionales, elles ont aussi besoin de matières premières et de denrées alimentaires de l’étranger.
Sur les derniers tracts distribués par les partisans de l’initiative pour l’interdiction des pesticides, on peut lire ceci: «Les importations aussi doivent être produites sans pesticides de synthèse…». Le problème: cette affirmation n’est pas correcte. Dans le texte de l’initiative, il est uniquement question des importations de denrées alimentaires. Cette particularité de la formulation est également relevée dans le matériel de vote de la Confédération, et elle a des conséquences importantes. Les restrictions aux importations de denrées alimentaires posent à elles seules un énorme problème.
Le «bio de tous les superlatifs», libre de tout pesticide ou presque, n’est pas disponible en quantité suffisante sur les marchés mondiaux. Les importations de matières premières et de denrées alimentaires transformées ne seraient pratiquement plus possibles. On verrait les prix exploser en Suisse, des emplois passeraient à la trappe et le tourisme d’achat se porterait comme un charme. Simultanément, la Suisse, pays exportateur, serait dos au mur. Nos partenaires commerciaux ne manqueraient pas de prendre des mesures en réponse à l’interdiction rigoureuse et arbitraire des importations. Comme l’explique Christian Häberli, expert en droit commercial international à l’Université de Berne, «l’institution de régimes spéciaux pour des mesures phytosanitaires plus sévères que les normes sanitaires convenues au sein des Nations Unies doit être négociée avec les partenaires commerciaux». S’agissant de la protection de la santé, le droit de l’OMC permet de prendre les mesures nécessaires en la matière. Mais seulement si la nocivité d’un produit peut être prouvée scientifiquement et de manière concluante. Ce n’est pas le cas des pesticides, en particulier lorsqu’ils sont présents à l’état de traces. Un autre problème, selon M. Häberli, est la mise en œuvre de l’initiative: en effet, elle nécessiterait de réintroduire les contrôles aux frontières.
En cas d’acceptation de l’initiative pour l’interdiction des pesticides, les importations de denrées alimentaires produites au moyen de pesticides de synthèse seraient interdites.Les auteurs de l’initiative affirment pourtant tout d’un coup que toutes les importations de biens produits à l’aide de pesticides de synthèse seraient interdites. Il est intéressant de noter que les auteurs de l’initiative pour l’eau potable ont, eux aussi, tenté d’aplanir les graves erreurs contenues dans le texte de leur initiative en se lançant dans des interprétations aventureuses. Sans succès. Dans l’initiative pour l’eau potable, il est prévu noir sur blanc que seuls les agriculteurs qui nourrissent leurs bêtes avec le fourrage produit sur l’exploitation touchent encore les paiements directs. Cette interprétation déformée du texte a même été corrigée dans l’émission Kassensturz, pendant alémanique d’À Bon Entendeur.
Revenons à l’initiative pour l’interdiction des pesticides: déjà en elle-même, cette initiative est extrême. À cause d’elle, même les agriculteurs bio ne pourraient plus utiliser du cuivre de synthèse pour protéger leurs cultures contre les maladies phytosanitaires. La plupart des pesticides bio contiennent des adjuvants de synthèse destinés à en faciliter l’application dans les champs et/ou à en améliorer la conservation. Eux aussi seraient interdits. Tant l’industrie alimentaire que les agriculteurs n’auraient plus le droit d’utiliser de biocides. Les produits de désinfection sont pourtant indispensables pour la sécurité alimentaire et la conservation des aliments. Interdire les biocides, c’est jouer avec la santé des consommateurs. L’industrie alimentaire est vent debout contre cette interdiction. Les producteurs et l’industrie de transformation rejettent l’initiative pour cette raison aussi.
Du côté des auteurs de l’initiative, l’interdiction des importations ne se limite plus aux seules denrées alimentaires, mais est étendue à tous les biens. Cette affirmation est en totale contradiction avec le texte de l’initiative. Les auteurs de l’initiative s’enfoncent encore plus dans l’extrême. Ce faisant, ils mettent en évidence que l’initiative est entachée d’une grave erreur de construction. Elle montre dans quelle impasse conduit une approche basée sur les interdictions. Elle appelle de nouvelles interdictions. Suivant cette logique, les importations de coton ou les achats des particuliers à l’étranger devraient bientôt être interdites.
En cas d’acceptation de l’initiative pour l’interdiction des pesticides, les importations d’aliments pour animaux resteraient possibles. Mais on laisserait les maladies phytosanitaires et les parasites détruire le fourrage produit sur les champs par les agriculteurs suisses. En clair: l’initiative détruit la production régionale de fourrage et encourage les importations de fourrage.
L’utilisation des produits phytosanitaires en dehors de l’agriculture se trouve aussi dans ligne de mire de l’initiative pour l’interdiction des pesticides. L’initiative demande en effet d’interdire les pesticides de synthèse non seulement dans l’agriculture, mais aussi dans l’entretien du paysage. Outre les agriculteurs, cette interdiction toucherait aussi les responsables de terrains des clubs de sport. Le recours aux pesticides de synthèse pour entretenir les pelouses serait banni. Comme le rapporte le «Blick», les terrains de football en particulier sont facilement la proie de champignons. Un problème que connaît le FC St-Gall. Les fongicides sont indispensables pour combattre les maladies cryptographiques: « Sans eux, le terrain serait dégradé ou impraticable en quelques semaines et devrait être remplacé».
Ce qui serait interdit en Suisse continuerait d’être autorisé à l’importation. Pour les fleurs aussi. Les fleurs, comme le fourrage, ne sont pas des denrées alimentaires. Selon le texte de l’initiative, les fleurs pourraient être importées par avion depuis le monde entier, même lorsqu’elles ont été produites à l’aide de produits phytosanitaires de synthèse. Les jardiniers suisses n’auraient pas le droit d’utiliser ces produits. Les rosiers pourraient être attaqués par le mildiou. Les plantes cultivées seraient livrées sans défense aux parasites. À cause de l’initiative pour l’interdiction des pesticides, c’est la production régionale qui trinque. Les fleurs de la région coûtent plus cher. Les importations remplacent les produits suisses. Cela se voit non seulement pour les fleurs, mais aussi pour les plantes ornementales de toutes sortes. Les producteurs régionaux ne pourraient plus produire tout ce qui réjouit le cœur. En revanche, les producteurs étrangers auraient eux de quoi se réjouir.
La fausse réalité dépeinte par les auteurs de l’initiative pour l’interdiction des pesticides annonce ce à quoi l’initiative aboutira en fin de compte.Elle résultera en une cascade de nouvelles interdictions. À mesure que des lacunes apparaissent, la spirale des interdictions s’accélère. C’est tout, sauf libéral. Une approche basée sur les risques dans la protection phytosanitaire est plus prometteuse que des interdictions généralisées. Et, surtout, elle coûte beaucoup moins cher. La réduction progressive des produits phytosanitaires doit suivre une approche basée sur les risques. C’est la seule façon de laisser une chance à la production régionale. Et la seule façon d’éviter que les produits régionaux ne soient pas remplacés par des importations écologiquement douteuses.
L’initiative pour l’interdiction des pesticides malmène sérieusement la production régionale, y compris si l’on omet le problème des importations. Elle dévaste l’agriculture et provoque des dégâts dans l’entretien du territoire. Elle transforme les pelouses des clubs de football en prairies. Les plates-bandes des jardiniers amateurs sont livrées sans défense à toutes sortes de prédateurs. Et les passionnés des fleurs doivent renoncer à une multitude de fleurs cultivées en Suisse.
C’est un fait: on ne touche pas qu’à la nourriture en renonçant à des produits phytosanitaires efficaces. De nombreux autres produits qui nous font sinon aussi du bien sont directement concernés. Lorsque les fleurs de la région ou les offres de loisirs sur des espaces verts viennent à manquer, c’est aussi la nourriture de l’âme qui est touchée.
La rédaction de swiss-food.ch
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