L'Observatoire
a été informé de l’enlèvement et de la disparition forcée de
M. Atiana
Serge Oulon,
journaliste d’investigation et directeur de publication du
bimensuel l’Événement,
journal d’investigation de référence au Burkina Faso depuis 2001.
Atiana Serge Oulon est notamment reconnu pour son travail de veille
contre la corruption, y compris au sein de l’armée. Il est
également l’auteur de plusieurs ouvrages tels que « Les
secrets de deux putschs », paru en octobre 2023.
Le
24 juin 2024, Atiana Serge Oulon a été enlevé à son domicile à
Ouagadougou par
des individus
non identifiés.
Pendant la nuit, selon de multiples témoins, le groupe d’individus
a d’abord recherché la maison de M. Oulon, se présentant à
d’autres habitations du voisinage. Selon ses proches, à 5 heures
du matin, au moins neuf personnes se sont présentées au domicile de
M. Oulon. Sous leur insistance, à 7 heures du matin, M. Oulon a
ouvert la porte et quatre personnes en civil sont entrées dans la
maison à visage découvert. Deux personnes étaient restées à la
porte. M. Oulon a ensuite été embarqué dans un van Toyota blanc,
non immatriculé. Plus loin, deux autres individus étaient à bord
d’une petite voiture, de marque Toyota, qui a suivi le cortège. Ce
modus operandi est proche de celui utilisé par l’Agence nationale
du renseignement (ANR)
du Burkina Faso, ce qui fait craindre qu’Atiana Serge Oulon soit
soumis à une détention au secret.
Quelques
heures après son enlèvement, deux hommes se présentant comme des
membres de l’ANR auprès de l’épouse d’Atiana Serge Oulon, se
sont rendus au domicile de ce dernier, et ont saisi ses appareils
informatiques et téléphoniques. Au moment de la publication de cet
Appel Urgent, sa famille, ses proches et son avocat restent sans
nouvelles de lui.
Le
jour de son enlèvement, Atiana Serge Oulon devait assister à un
procès en diffamation et pour injures publiques au Tribunal de
grande instance Ouagadougou I, intenté par le journal l’Événement
contre
Adama Siguiré, activiste défenseur du pouvoir, qui avait accusé le
journal sur sa page Facebook de vouloir faire échouer la transition
en relayant de fausses informations.
Cet
enlèvement s’inscrit dans une série d'actes de répression menés
par les autorités burkinabè à l’encontre d’Atiana Serge Oulon
et du journal l’Événement.
Le
20 juin 2024, le journal a été suspendu par le Conseil supérieur
de la communication (CSC), organe de régulation des médias, pour
une durée d’un mois, suite à une publication titrée « 400 000
000 francs CFA des VDP détournés, le capitaine Prospère Boena s’en
est allé avec son témoignage » qui soulevait des soupçons de
détournement de fonds au sein des volontaires pour la défense de la
patrie (VDP), une milice créée pour combattre les groupes
terroristes. Le CSC reprochait au journal des « manquements »,
alors que l’Événement
a dénoncé dans un communiqué
une « sanction
injuste et abusive »
que
le journal a attaqué
devant
le Tribunal administratif de Ouagadougou. Dans cette affaire, Atiana
Serge Oulon avait été entendu par le CSC. Le 12 juillet 2024, le
Tribunal administratif de Ouagadougou a ordonné l’annulation de la
décision du CSC suite à la requête du journal et
a
condamné le CSC à payer au journal la somme de 500.000 francs CFA
(environ 760 Euros) au titre des frais exposés, décision à
laquelle le CSC doit encore se conformer. En décembre 2022, Atiana
Serge Oulon avait déjà été auditionné par les autorités
militaires au sujet d’un article
concernant la même affaire, audition pendant laquelle les autorités
militaires avaient alors tenté de lui faire révéler sa source.
L’Observatoire
rappelle que cet enlèvement intervient dans un contexte de
musellement de la société civile et de répression des défenseur·es
des droits humains et des journalistes au Burkina Faso, en
particulier celles et ceux travaillant sur la corruption et les
manquements des autorités militaires au pouvoir face à la situation
sécuritaire dégradée dans le contexte des attaques terroristes
dans le pays. Les 19 et 28 juin 2024, Kalifara Séré et Adama
Bayala, journalistes critiques de la gouvernance des autorités
militaires au pouvoir, ont eux aussi disparu. Reporters
sans frontières (RSF) a dénoncé
le silence des autorités à ce sujet et s’est inquiété d’une
implication possible des autorités. L’Observatoire rappelle
également que le 1er
décembre 2023, Dr.
Daouda Diallo,
fondateur et le secrétaire général du Collectif contre l’impunité
et la stigmatisation des communautés au Burkina Faso (CISC), a été
enlevé et a subi une réquisition par l’armée, avant d’être
libéré le 8 mars 2024. En novembre
2023,
Issaka Lingani et Yacouba Ladji Bama, deux journalistes également
critiques du pouvoir, ont eux aussi été réquisitionnés pour la
lutte du régime contre le terrorisme par les autorités militaires.
L’Observatoire
enjoint les autorités militaires au pouvoir au Burkina Faso à tout
mettre en œuvre afin que le sort et la localisation d’Atiana Serge
Oulon soient connus, qu’il soit libéré de façon immédiate et
inconditionnelle et que toute la lumière soit faite sur son
enlèvement et sa séquestration.
L’Observatoire
appelle également les autorités militaires au pouvoir au Burkina
Faso à garantir le droit à la liberté d’expression, tel que
consacré par les standards internationaux relatifs aux droits
humains, et particulièrement à l’Article 19 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques des Nations
Unies, et à l’Article 9 de la Charte africaine des droits de
l’Homme et des peuples.
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