Chère lectrice, cher lecteur,
«Le coronavirus touche davantage les plus défavorisés», titrait la «Sonntagszeitung» le week-end dernier. Cette affirmation se fonde sur une première étude d’envergure qui met en évidence des différences marquées entre les groupes de population. L’étude de Matthias Egger, professeur d’épidémiologie bernois, révèle que les 10% les plus pauvres de Suisse sont deux fois plus souvent aux soins intensifs que les 10% les plus riches. Les différences en ce qui concerne le nombre de décès sont tout aussi importantes, poursuit la «Sonntagszeitung». C’est en fait un paradoxe: une pandémie touche tout le monde, mais celle du coronavirus crée d’énormes inégalités, commente Armin Müller dans son éditorial. À ce propos, il renvoie à une étude du Centre suisse de recherches conjoncturelles (KOF) sur les effets redistributifs de la pandémie de coronavirus. Même constat sur le plan économique: les revenus les plus faibles sont plus sévèrement touchés.
Les raisons à l’origine de ces inégalités sont multiples. Les différences médicales s’expliquent par le mode de vie et les pathologies préexistantes. L’accès aux soins médicaux est également important. En ce qui concerne les répercussions économiques, les confinements ont un impact économique négatif plus marqué dans les professions faiblement rémunérées. Dans la production et la restauration, par exemple, la question du home office ne se pose pas. Samedi, nous serons le 1er mai. Les conclusions de cette étude devraient laisser songeurs les syndicats et les socialistes. À moins que la politicienne de gauche allemande, Sahra Wagenknecht n’ait raison lorsqu’elle affirme, comme récemment dans la «Weltwoche», que la gauche d’aujourd’hui s’inquiète plus de langue (voir le débat sur la féminisation des titres et des professions) que de justice? Une gauche lifestyle, selon son expression.
Et swiss-food, dans tout cela? Le 13 juin, nous voterons sur deux initiatives agricoles. Les initiatives toucheront aussi les plus démunis, la classe moyenne, les familles et les PME visées par les restrictions dues au coronavirus. Du fait de l’interdiction ou des limitations massives de la protection phytosanitaire, la production agricole en Suisse s’effondrera. Notamment celle des fruits et légumes, pourtant si importants pour la santé. Si l’offre de fruits et légumes de la région se raréfie, les prix augmentent. Et si les prix des produits de la région augmentent sensiblement, c’est une mauvaise nouvelle pour tous ceux qui ont un budget serré. Les plus défavorisés seront une nouvelle fois les victimes. Les initiatives renchérissent les aliments de base. Ceux qui militent pour plus de justice devraient s’inquiéter des effets redistributifs de ces initiatives extrêmes. Car il est injuste que certains ne puissent plus s’offrir les fruits et légumes de nos régions.
Une étude de l'Université de Saint-Gall documente également l’impact de l’initiative pour l’interdiction des pesticides sur les denrées alimentaires suisses. Les consommateurs suisses apprécient les produits de la région. L’initiative «pour une Suisse libre de pesticides de synthèse» met toutefois en péril la production indigène. Les auteurs de l’étude mettent en garde contre un recul de la production alimentaire suisse et une hausse des prix des denrées alimentaires. Les deux grands distributeurs aussi sont conscients des liens de cause à effet et rejettent sans ambiguïté les deux initiatives agricoles extrêmes. Dans sa prise de position sur l’initiative pour l’eau potable, la CI Commerce de détail rappelle notamment que «les membres de la CI Commerce de détail Suisse sont les plus gros acheteurs de l’agriculture suisse. 70% de leur assortiment (80% ou plus dans le secteur des produits frais) proviennent de Suisse. Comme une grande partie des consommateurs suisses attache une grande importance aux produits locaux, les membres sont dépendants d’une agriculture suisse productive.» Plus loin, il est précisé: «La réorientation des paiements directs, telle que demandée par l’initiative, empêche de fait l’utilisation de tous les pesticides, y compris dans le secteur biologique. Cela entraînerait de mauvaises récoltes, une pénurie des offres et une hausse des prix.»
Et qui indemniserait les agriculteurs pour ce surcroît substantiel de travail et ces importantes baisses de rendement? La «WOZ», qui pose la question, titre en réponse: «Non, Bio Suisse n’a pas perdu la tête». L’hebdomadaire explique pourquoi Bio Suisse recommande de rejeter l’initiative pour l’eau potable. Il s’agit d’une initiative malheureuse. En effet, les exploitations bio seraient aussi visées par le texte. Dans le podcast de swiss-food, le conseiller national UDC Mike Egger le souligne: «Le commerce entre agriculteurs doit rester possible». Mike Egger en est convaincu: les deux initiatives agricoles extrêmes réduirait sensiblement la production agricole indigène. Pour les produits carnés aussi: il en résulterait une augmentation des importations de viande provenant de production de masse étrangère: «À l’étranger, nous avons beaucoup moins d’influence sur les conditions de production», déclare ce boucher de profession.
Les entreprises de l’agrochimie aussi rejettent les initiatives. Le contre-projet indirect ne réjouit cependant pas l’industrie. Il déborde. Lorsque les auteurs de l’initiative prétendent qu’il n’y a pas de contre-projet, c’est de la pure rhétorique de campagne. En réalité, la Commission de l’économie et des redevances du Conseil des États a déposé l’initiative parlementaire «Réduire le risque de l’utilisation de pesticides». Elle se veut un contre-projet inofficiel aux deux initiatives agricoles extrêmes. Après des négociations longues et ardues, le Parlement a adopté un texte de loi ce printemps. En durcissant considérablement les valeurs limites, la loi sur les pesticides va cependant bien au-delà de l’objectif visé à l’origine.
Dans le «St. Galler Tagblatt», deux agriculteurs d’Appenzell présentent les répercussions des initiatives sur la production régionale. La démonstration est édifiante. Nous avons résumé cet article sur swiss-food. Konrad Meier, agriculteur bio à Herisau, élève des vaches et 1000 poules pondeuses. Il doit lui aussi acheter du fourrage. L’initiative pour l’eau potable l’en empêcherait. Sa production d’œufs en particulier serait fortement menacée. Et Walter Mock, agriculteur à Gonten, est en colère: l’initiative encourage les importations et aggrave la pollution. Il commente: «C’est de la schizophrénie!»
Les initiatives ont également une dimension internationale. Et là aussi, des questions de justice se posent. La pandémie de coronavirus a affaibli les systèmes alimentaires de nombreux pays. En Afrique, le combat contre les criquets pèlerins n’est pas terminé. Voulons-nous vraiment interdire l’utilisation des pesticides à l’étranger, comme le propose finalement l’initiative pour l’interdiction des pesticides? Depuis plus d’un an, l’Afrique orientale est la proie d’énormes essaims de criquets pèlerins. Ils dévorent des champs entiers. Des millions de personnes sont menacées par la faim. Outre les produits phytosanitaires, les pesticides comprennent les biocides, c’est-à-dire les désinfectants, les produits de nettoyage et les produits antiparasitaires. Voulons-nous vraiment – en suivant systématiquement notre «aversion pour les pesticides» – interdire aux pays touchés par la malaria d’utiliser des insecticides et de protéger ainsi leurs citoyens contre la maladie? Chaque année, 200 millions de personnes contractent la malaria, et toutes les deux minutes, un enfant en meurt, alors qu’il est possible d’éviter et de traiter cette maladie. Dimanche dernier, la journée mondiale de lutte contre le paludisme a rappelé ces chiffres tragiques. Des interdictions absurdes, qui veulent faire de la Suisse un «modèle international», ont également une dimension morale.
La rédaction de swiss-food.ch
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