Chère lectrice, cher lecteur,
Les deux initiatives agricoles sont détachées des réalités. Leurs auteurs caressent le rêve d’un bio de tous les superlatifs qui n’existe pas dans la réalité. Ce bio de tous les superlatifs travaille «sans pesticides», c’est-à-dire sans produits phytosanitaires ni biocides. Ce dernier terme regroupe les nettoyants et les désinfectants qui garantissent par exemple l’hygiène des étables et la sécurité alimentaire dans l’industrie de transformation.
Une certitude: pour pouvoir nourrir la population mondiale, et avec elle la population suisse, les agricultrices et les agriculteurs sont toujours face à trois questions essentielles.
Comment lutter contre les maladies phytosanitaires?
Comment repousser les parasites?
Comment éviter que les mauvaises herbes ne concurrencent les plantes utiles?
Sans réponse à ces questions simples, il n’y a pas de produits régionaux en quantité suffisante et de qualité convaincante. Seuls restent les importations ou le tourisme d’achat. Il y a peu, pourtant, les citoyens suisses se sont prononcés pour la sécurité alimentaire. L’expérience de la pandémie leur donne encore plus raison: en période de crise, chaque pays pense d’abord à lui-même. Toute solution raisonnable repose au moins partiellement sur un approvisionnement régional.
Pendant cette campagne, on entend régulièrement dire que les deux initiatives élèveraient le bio au rang de norme. Ou que les agriculteurs bio prouveraient depuis des décennies qu’il est possible de se passer de pesticides. À l’examen, on constate que ces affirmations sont des sottises:
- Les initiatives n’élèvent pas la production bio au rang de norme.
Les initiatives réclament une production bio de tous les superlatifs, libre de pesticides. Un bio plus.
- Les agriculteurs bio ne prouvent pas qu’il est possible de se passer de pesticides.
Les agriculteurs bio prouvent qu’ils ont besoin de pesticides.
Bonne nouvelle: dans les médias aussi, le maquis de fausses informations commence à s’éclaircir. Un bon début est à signaler du côté du «Tages-Anzeiger». Comme le révèle le quotidien, les exploitations bio aussi recourent aux pesticides pour protéger leurs cultures. Par conséquent, les agriculteurs bio aussi sont touchés par les deux initiatives. Comme quelques-uns de ces pesticides sont obtenus par synthèse ou contiennent des composés de synthèse, ils sont dans le viseur des deux initiatives. Les cultures fruitières, la culture de la vigne, les cultures maraîchères, la culture de la pomme de terre et la culture du colza ne seraient rien sans pesticides. Autrement dit: même si les partisans de l’initiative répètent comme une litanie que «les agriculteurs bio prouvent depuis des décennies qu’il est possible de se passer de pesticides», cette affirmation reste fausse. Il suffit de jeter un œil à la liste des intrants pour l’agriculture biologique du FiBL pour s’en convaincre.
Réclamer le «sans pesticides», c’est réclamer une sorte de super bio. Si la Suisse devait s’approvisionner en matières premières sans pesticides sur le marché mondial, par exemple pour le café ou le cacao, elle n’en trouverait tout simplement pas. Le «Blick» l’illustre dans l’exemple du chocolat: lorsque le cacao sans pesticides est effectivement disponible, il coûte 30% plus cher, voire plus, que le cacao conventionnel. Les fabricants ne pourraient pas récupérer ce surcoût à l’exportation. Et ne pourraient donc tout simplement pas vendre leurs produits. Nos entreprises rentreraient les mains vides et les poches vides. En raison des restrictions aux importations, la Suisse heurterait ses partenaires commerciaux et devrait s’attendre à des mesures de rétorsion qui ne viseraient pas seulement l’industrie alimentaire. Pour un pays axé sur l’exportation, c’est tout, sauf une bonne idée. Les auteurs de l’initiative font un mauvais rêve.
De plus en plus d’agriculteurs bio aussi sont amers. L’un eux, Stefan Krähenbühl, demande à haute et intelligible voix que les milieux du bio cessent de mentir aux consommateurs. Les agriculteurs bio aussi sont touchés par les deux initiatives agricoles. Une vérité longtemps étouffée par les milieux du bio. Mais de plus en plus d’agriculteurs bio n’apprécient plus cette communication malhonnête. Et s’engagent contre les initiatives. Cette mauvaise humeur se reflète également dans le Non de Bio Suisse à l’initiative pour l’eau potable.
Stefan Krähenbühl reçoit même l’appui des viticulteurs Demeter. L’«Aargauer Zeitung» a rendu visite à Kathrin et Claudio Hartmann à Schinznach. Et rendu compte des funestes conséquences qui attendent les deux viticulteurs en cas d’acceptation des deux initiatives agricoles. Les Hartmann produisent du vin biodynamique selon les directives de Demeter. D’emblée, ils annoncent la couleur: « Sans protection phytosanitaire, nous ne pouvons pas produire, et sans vigne, pas de vin! » Bien sûr, il faut continuer à réduire l’utilisation des pesticides. Mais les deux initiatives agricoles ne sont pas la bonne voie. «Elles font beaucoup de dégâts, sans vraiment aider l’environnement», s’exclament-ils dans l’«Aargauer Zeitung».
En 2020, les consommatrices et les consommateurs ont plébiscité le vin suisse. Pandémie oblige, la consommation de vin a certes diminué de 6% l’année dernière. Dans le même temps, pourtant, il s’est bu plus de vin suisse. Cette augmentation de la demande est toutefois contrecarrée par les deux initiatives agricoles. Toutes deux entraînent une baisse des rendements et affaiblissent l’industrie vinicole en Suisse.
Dans les vignobles bio, le cuivre est souvent utilisé comme fongicide. Il prévient la propagation des maladies fongiques dans les climats tempérés et humides. Ce métal lourd a toutefois le défaut de ne pas être dégradable et de contaminer le sol. Il est beau, le «sans pesticides». Une étude d’Agroscope démontre même que le bio serait le plus durement touché en cas d’abandon des substances actives potentiellement dangereuses. L’étude a évalué les produits phytosanitaires autorisés en Suisse (état: mars 2019) sur la base de scores de risques pour les eaux souterraines, les eaux de surface et les abeilles. Les scores de risques ont permis aux chercheurs d’établir un classement des substances actives par rapport à leur potentiel de risque.
Lorsque de faux prophètes annoncent leurs croyances par monts et par vaux, il faut expliquer. L’industrie alimentaire aussi doit expliquer. Car les initiatives agricoles menacent des produits suisses appréciés pour la production desquels il faut des matières premières provenant de la région, mais aussi de l’étranger. Lorsque ces matières premières ne sont plus disponibles dans les quantités et la qualité souhaitées, les consommatrices et les consommateurs sont touchés de plein fouet. Soit ils achètent ces produits beaucoup plus cher, soit ils y renoncent.
De fait: les deux initiatives agricoles du 13 juin touchent aussi l’industrie de transformation alimentaire en Suisse. En raison de la baisse de la productivité agricole, les achats de matières premières produites en Suisse deviendront difficiles. L’interdiction des importations prévue dans l’initiative pour l’interdiction des pesticides empêchera ou compliquera sensiblement les achats de matières premières à l’étranger. Comme le démontre de façon éclatante une étude de l’université de Saint-Gall, le stockage et la transformation des aliments seraient fortement touchés par l’initiative sur les pesticides. Les pesticides englobant aussi les désinfectants, les deux initiatives mettent en péril la sécurité alimentaire. Des emplois seront détruits.
Dans une annonce publiée dans la «NZZ am Sonntag», vingt entreprises viennent d’appeler à voter deux fois NON aux initiatives agricoles. Parmi elles, les entreprises de transformation de produits carnés de Coop et Migros. Des entreprises de l’industrie laitière, des producteurs de vin et des fabricants de plats cuisinés se sont joints à l’appel. Il était temps. Les citoyens recevront bientôt le matériel de vote. Ils doivent savoir que le rêve d’une production régionale bio de tous les superlatifs fait des dégâts et qu’il se traduit par une explosion des prix pour l’industrie de transformation et les consommateurs.
La rédaction de swiss-food.ch
|