#59 - 18 décembre 2020

Le guépard, le hamster, le ver de terre, le chien-loup et le poisson rouge : bestiaire de bureau

La crise et ses effets d’accélération vont-ils tuer le bureau ? S’il est une expression que l’année 2020 aura rendue largement obsolète, c’est bien celle « d’aller au bureau ». Télétravail, contraintes massives sur les mobilités : le bureau sortira transformé de la pandémie. Dans ce secteur, la question n’est pas tant de savoir quand aura lieu la reprise mais se décline en quatre interrogations : faut-il construire ? Que faut-il construire ? Combien de mètres carrés faut-il construire ? Jusqu’à quel point faut-il transformer l’existant ? Quatre interrogations qui sont une autre manière de dire que parler du marché de l’immobilier de bureau aujourd’hui, c’est parler des dynamiques urbaines, technologiques, sociales en cours et de leur perturbation par la crise sanitaire.

Face à l’incertitude, les prospectivistes raisonnent avec des scénarios. Plusieurs ont été élaborés sur le sujet de l’immobilier de bureau, dont un jeu de cinq scénarios assez inspirant suggéré par Colliers International – auquel nous prenons la liberté d’ajouter un bestiaire :

  1. Le premier est celui du statu quo, que je qualifierais de « scénario du guépard» - « il faut que tout change pour que rien ne change ». Les uns y verront le fruit du volontarisme des professionnels qui préfèrent se raccrocher à ce qu’ils connaissent, faute de vouloir se mesurer au mur d’incertitudes auquel le secteur fait face. D’autres y verront une lecture historique du sujet : après la grippe espagnole de 1919-1920 au sortir de la guerre, le monde occidental s’est empressé d’oublier les épreuves pour se jeter à bras ouverts dans les « Roaring Twenties ». Pourquoi pas un bis repetita pour les années 2020 ?

  2. Le deuxième scénario est celui du « grand hamster d’Alsace » (les lecteurs assidus de La Fabrique comprendront ; pour les autres, hâtez-vous de lire l’abécédaire sur les grands projets récemment publié par La Fabrique de la Cité sous la plume de Marie Baléo, à l’entrée éponyme !). À l’inverse, ce scénario postule de multiples transformations, nées de la crise sanitaire et portées par la transition écologique. On réglemente, oui, mais on se concerte, on écoute les salariés : bref, le monde entier devient suédois, les technologies sont mises au service du confort des travailleurs, l'emploi reste majoritairement salarié mais les travailleurs trouvent d'autres sources de développement personnel en réduisant leur temps de travail. La région parisienne reste très attractive pour les sièges sociaux, mais on assiste à la multiplication de tiers lieux, à proximité des domiciles, servant au télétravail, dans une logique de préservation de l’environnement.

  3. Avec le troisième scénario, on entre dans le monde du ver de terre, dont chacun se réjouira d’apprendre qu’il est de loin l’animal le plus présent, partout, dans le monde. On entre dans l’ère de l’exode urbain où prime la recherche de la meilleure qualité de vie. Les travailleurs s'éloignent des centres métropolitains ; à l’instar des vers de terre, salariés et entreprises se répartissent beaucoup plus sur le territoire, le salariat se dilue sous l’effet de l'intelligence artificielle qui détruit beaucoup d’emplois et favorise l’émergence d’un monde de travailleurs indépendants et flexibles. Il n'y a plus de siège social à proprement parler, plutôt des hubs, le cas échéant multi-entreprises.

  4. Gare au quatrième scénario, dystopique (du moins faut-il l’espérer…), celui du chien-loup. Tout y est contrainte : l’État impose une transition écologique qui oublie l’innovation, le marché et la créativité…, bref l’histoire de l’humanité ; les entreprises, mues par la performance et portées par la révolution de l’intelligence artificielle, détruisent les emplois. Insiders contre outsiders: les premiers, chouchoutés, se réunissent surtout virtuellement avec leurs collègues et les autres sont relégués. Dans ce monde hobbesien, rien moins que des chiens-loups peuvent contenir les antagonismes sociaux et les révoltes qui s’ensuivront.

  5. Enfin, le dernier scénario est largement localiste : chacun dans son bocal, version poisson rouge. « Dépendance technologique » et « indépendance professionnelle » : écoquartiers, PME, petites unités de travail, dispersion, travail indépendant se cumulent, avec toutefois une persistance des grandes entreprises dans les centres urbains.

2021 contribuera à nous dire si, comme il est probable, la réalité s’émancipera du cadre des scénarios et conduira à une hybridation des espèces. Reste que, après une année 2020 monopolisée par le pangolin, on ne peut que se réjouir de ce retour de la biodiversité. – Cécile Maisonneuve, présidente

 

Pas le temps de lire ? L’équipe de La Fabrique de la Cité s’occupe de vous.

PARU, VENDU ? En France, la ville moyenne est « vue comme une ville charnière [...] importante dans un parcours de vie et [...] comme un endroit où ça bouge [...] du point de vue commercial mais aussi de l’innovation », selon un très récent sondage commandé par La Fabrique de la Cité aux instituts Kantar et Potloc. L’attrait des Français pour cette catégorie, qui rassemble des villes fort diverses, se confirmera-t-il en 2021 ? – Sarah Cosatto, chargée d’études

→ Et sur le même sujet : La Fabrique de la Cité organisait les 25 et 26 novembre derniers la première édition des Rencontres des villes moyennes, lors de laquelle était présenté le sondage susmentionné. Restez connectés pour découvrir les séquences fortes de cet événement, bientôt disponibles sur notre site.


COÛTS CACHÉS – Si les coûts financiers des livraisons express sont bien souvent cachés, leur coût environnemental a été mis en lumière dans une récente étude de l’institut de recherche sur les transports de UC Davis. On y observe que la réduction du délai de livraison est corrélée à une augmentation du nombre de kilomètres parcourus par les véhicules de livraison ainsi qu’à des émissions plus importantes. – Camille Combe, chargé de mission


FREE CITY
Dans une note pour le Réseau National des Aménageurs, l’économiste Isabelle Baraud-Serfaty revient sur « cette irruption du gratuit dans les villes ». Cette transformation oblige les collectivités et les aménageurs à trouver de nouvelles modalités de coopération avec des acteurs tels que les start-ups ou les énergéticiens et à repenser fondamentalement leurs modèles de financement, la question maîtresse étant la suivante : « qui paiera la ville de demain ? » – Sarah Cosatto


LONDON CALLINGSadiq Khan, le maire de Londres, a commandé à Transport for London des études de faisabilité pour la mise en place d’une taxe quotidienne d’entrée dans le Grand Londres d’un montant de 3,5 livres. Le produit annuel de cette taxe doit contribuer à la résolution de la crise du financement des transports collectifs, durement affectés par la pandémie. Des acteurs économiques s’interrogent toutefois sur les effets de cette nouvelle taxe sur leur activité. – Sarah Cosatto

→ Et sur le même sujet : retrouvez l’outil interactif créé par La Fabrique de la Cité pour identifier des leviers permettant d’agir sur la décarbonation de la mobilité et son financement.


TRAJECTOIRES MÉTROPOLITAINES
Le PUCA et ses partenaires tiendront les 21 et 22 janvier 2021 un colloque en ligne « Pour des métropoles résilientes : métropoles en transitions cherchent trajectoires territoriales ». Une des questions majeures de l’événement est soulevée par Jean-Marc Offner, directeur général de l’a’urba : aujourd’hui s’« impose un nouveau récit territorial […] à même d'interroger les interdépendances entre métropoles, petites villes et campagnes, tout en assumant leurs spécificités ». – Sarah Cosatto

→ Et sur le même sujet : notre projet de recherche « Territoires et métropolisation », qui étudie les relations ambivalentes et complexes entre métropolisation et recompositions territoriales.

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