Chère lectrice, cher lecteur,
Cette semaine, l’Office fédéral de la statistique a publié les derniers chiffres sur la recherche et le développement en Suisse. La plus grande part des activités R-D (68%) est supportée par l’économie privée. Dans un précédent état des lieux, la NZZ avait montré que si les grandes entreprises sont absentes, le moteur de l’innovation se met tousser. Les entreprises qui font de la recherche ont une importance majeure pour l’innovation en Suisse.
Si elle veut rester un pôle de recherche, la Suisse doit soigner ses conditions-cadre. Les coopérations entre les grandes entreprises, les PME, les start-ups et la recherche publique doivent se poursuivre. L’accès à la main-d’œuvre spécialisée et aux jeunes talents ainsi que la protection de la propriété intellectuelle comptent aussi. Pour que les nouvelles connaissances puissent bénéficier à la société, il faut un processus d’homologation rapide, fondé sur la science, et l’existence d’un climat favorable à la technologie parmi la population.
L’ouverture à la technologie ne doit pas être confondue avec la foi en la technologie. Les avantages et les inconvénients peuvent et doivent être discutés. Malheureusement, cette soigneuse pesée des intérêts ne s’effectue que trop rarement. On le voit actuellement dans le cadre des votations sur les deux initiatives agricoles du 13 juin. Les arguments de leurs partisans sont souvent dénués de tout fondement scientifique. La présence de résidus de pesticides en quantités infinitésimales est montée en scandale. Avec, en toile de fond, l’impression naissante qu’il faudrait en fait avoir peur de tout.
Pourtant, en comparaison d’autrefois, les menaces n’ont pas beaucoup changé: les plus grands dangers sont tapis dans la nature. Les virus et les bactéries sont une menace pour notre santé, nos cultures sont envahies ou concurrencées par les parasites, les mycotoxines et les mauvaises herbes. Les pesticides, soit les produits phytosanitaires et les biocides, comme les produits de désinfection, occupent une place centrale dans leur éradication. Une discussion objective et factuelle est importante pour la société et pour l’innovation en Suisse. Les risques de la non-utilisation de technologies doivent aussi être thématisés. N’oublions pas que c’est grâce à la technologie que la majorité d’entre nous peut aujourd’hui travailler en étant confortablement assis sur une chaise de bureau ou à un poste d’une installation de production ultramoderne, et non plus le dos plié en deux dans un champ en train de désherber ou de traquer le doryphore de la pomme de terre. Le progrès suppose de gérer des risques, et non d’interdire des technologies.
Le progrès technologique ne peut pas être arrêté. Il a lieu de toute façon. La seule question qui se pose, c’est de savoir si la Suisse souhaite y participer et l’utiliser à son avantage.
Lors du dernier entretien swiss-food du 26 mai, les participants ont découvert quels sont les facteurs de succès à conserver et comment les entreprises actives dans la recherche doivent se mouvoir entre les attentes de la société, les besoins du marché et les contraintes techniques.
La Suisse est concurrentielle dans l’innovation de pointe En introduction à son exposé, le président d’economiesuisse, Christoph Mäder, a rappelé que si elle veut rester prospère, la Suisse doit jouer aux avant-postes de la course internationale à l’innovation. « Il n’y a pratiquement que dans l’innovation de pointe que la Suisse est concurrentielle. Nous devons encourager cette capacité d’innovation, et non la risquer par opportunisme politique. Nous ne pouvons pas planifier les innovations. Mais nous pouvons créer l’environnement qui les rende possibles».
La Suisse dispose d’une recherche de haut niveau, dans les universités, les EPF, qui en constituent le fleuron, et les HES. La Suisse en tant que terre d’innovation conserve un pouvoir d’attraction élevé sur les chercheurs et les spécialistes étrangers. Si elle veut rester attrayante, elle ne doit pas développer une hostilité à la technologie. Sans de nouvelles technologies, on ne peut espérer des progrès tangibles dans les domaines de l’alimentation durable, de la médecine ou de la protection du climat. La technologie et l’innovation sont les garants à long terme de la prospérité de l’économie. Petit pays pauvre en ressources mais ouvert sur le monde, la Suisse a particulièrement besoin de la technologie et de l’innovation.
«La Suisse doit constamment veiller à ne pas rater le train dans le domaine de la recherche et du développement (R-D). Nos dépenses R-D en pourcentage du PIB montrent que nous nous faisons lentement mais sûrement distancés par d’autres pays comme Israël, la Corée du Sud, la Suède, le Japon, l’Autriche, l’Allemagne ou le Danemark, qui nous ont déjà dépassés», constate M. Mäder. «Nous avons une concentration élevée de multinationales et nous conservons un pouvoir d’attraction élevé sur les chercheurs et les spécialistes étrangers. Pour qu’il en reste ainsi, nous devons rester ouverts aux nouvelles technologies. « En 2019, 22,9 milliards de francs ont été consacrés à la recherche et au développement en Suisse. Cela représente une augmentation annuelle moyenne de 4,3% par rapport à 2017, année de la dernière enquête. 68% de ces activités ont été financées par l’économie privée », ajoute le président d’economiesuisse.
M. Mäder déplore l’attitude de plus en plus moralisatrice dans le débat sur la technologie: «La Suisse est condamnée à innover. Les deux initiatives agricoles du 13 juin ou l’initiative à venir pour l’interdiction de l’expérimentation animale et humaine sont des exemples qui vont dans la mauvaise direction». Il est très important que les entreprises puissent se fier à la stabilité des conditions-cadre en Suisse. «Il faut que les entreprises se trouvent dans un environnement favorable pour investir dans l’innovation. Il s’agit d’une condition indispensable pour garantir la capacité d’innovation et, partant, la prospérité en Suisse».
L’industrie croit en l’agriculture durable Comme l’a souligné Klaus Kunz, Head of Sustainability and Business Stewardship chez Bayer Crop Science à Monheim (Allemagne), l’industrie est consciente de sa responsabilité en ce qui concerne l’alimentation durable. L’innovation a un rôle absolument essentiel à jouer. « Le développement durable est un facteur important dans toutes les innovations. Grâce à elles, nous parviendrons par exemple à réduire d’environ 30% les émissions de gaz à effet de serre dans les champs de nos clients d’ici 2030. Grâce aux innovations, nous réduirons également l’impact environnemental de nos produits de 30%». Bayer accorde une grande importance aux petits agriculteurs du monde entier. Le groupe prévoit de soutenir 100 millions de petits agriculteurs d’ici 2030, en leur facilitant l’accès aux produits, au financement et aux marchés.
Les améliorations dans le domaine de la protection phytosanitaire ne sont possibles que grâce à une innovation continue. Les nouvelles variétés issues de la sélection végétale, le développement de nouveaux produits phytosanitaires chimiques et biologiques plus ciblés, l’agriculture de précision (utilisation ciblée et précise des produits phytosanitaires) et l’utilisation de drones pour appliquer précisément les produits ne sont que quelques exemples attestant de la capacité d’innovation de l’industrie.
L’industrie est aussi consciente du fait qu’auprès d’une partie de la population, il existe un problème de confiance. «C’est notre faute aussi. Pour améliorer le dialogue avec la population, nous devons devenir encore plus transparents et participer activement au débat». Selon sa propre expérience, il est utile de poser des questions pour cerner les préoccupations et connaître les propositions de solutions de la personne qui est en face de vous.
L’agriculture doit devenir plus productive et efficiente en ressources Willy Rüegg, responsable Crop Protection Research Biology chez Syngenta à Stein (Argovie), a présenté la vision de l’agriculture de demain. «Elle doit être productive: nous ne pouvons pas revenir à une agriculture moins productive. Selon la FAO, la production agricole devra augmenter de 50% d’ici 2050». La Suisse ne peut pas nier cette réalité, notamment parce qu’elle-même importe la moitié de ses denrées alimentaires. L’agriculture mondiale doit faire une utilisation efficace des ressources. Les terres arables diminuent à cause de l’urbanisation, de la désertification et de la dégradation des sols (diminution de la fertilité). Et le changement climatique, entre autres facteurs, entraîne des pertes de récolte. Il est impossible d’augmenter les surfaces disponibles sans endommager la forêt vierge ou les surfaces de promotion de la biodiversité. Cela signifie que nous devons utiliser encore plus efficacement les ressources comme le capital, l’énergie et le travail, mais aussi les ressources naturelles comme l’eau et le sol.
L’agriculture de demain ne doit pas seulement être durable. Elle doit aussi contribuer activement à la lutte contre le changement climatique. Pour rendre cela possible, l’agriculture a besoin, par exemple, de semences plus rentables et plus résistantes. Grâce à de nouvelles technologies, comme les ciseaux moléculaires CRISPR/Cas et les produits phytosanitaires qui protègent temporairement les cultures du dessèchement, des progrès importants ont été accomplis dans le domaine de l’agriculture durable. D’une manière générale, la numérisation a donné un coup d’accélérateur à la recherche grâce à des modèles assistées par ordinateur. Elle facilite également la détection des parasites et des maladies et l’application ciblée des produits phytosanitaires. «Nos chercheurs travaillent sur les molécules de synthèse. Car les procédés de synthèse offrent de nombreux avantages. Il est cependant de plus en plus difficile de trouver de nouvelles substances actives (il faut tester environ 160 000 molécules avant de trouver une substance active. Soit des dépenses d’investissement de 260 millions de dollars US en moyenne). Les études sur la sécurité environnementale et humaine de nos produits absorbent un tiers de nos investissements en temps et en argent.»
Parce que l’agriculture a besoin de tous les outils possibles et que la combinaison de ces outils est une approche qui a fait ses preuves, Syngenta travaille aussi sur les biologicals. «Nous avons des ambitions dans la biostimuation et le biocontrôle. Les organismes vivants soulèvent des défis particuliers en termes de recherche, de production à grande échelle et d’application. De plus, de nouvelles bactéries ou de nouveaux champignons peuvent avoir un effet négatif sur les écosystèmes, comme lorsque des organismes utiles sont introduits dans un nouvel écosystème. C’est pourquoi nous plaidons en faveur d’un système d’homologation basé sur le risque, tant pour les produits phytosanitaires de synthèse que pour les produits biologiques», conclut M. Rüegg.
La direction est claire: pour que la Suisse puisse participer activement au développement d’une agriculture durable, elle a besoin d’un environnement favorable à l’innovation. Des conditions-cadre politiques adéquates encouragent l’ouverture à la recherche. Le relèvement des budgets pour la formation y participe, mais il faut encore plus que cela.
Les textes et les présentations sont disponibles ici.
La rédaction de swiss-food.ch
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