Paris-Genève,
le 14 juin 2023 – L’acquittement hier des membres du Front
National pour la Défense de la Constitution (FNDC) et de Tournons la
Page (TLP) Guinée Oumar Sylla et Ibrahima Diallo après neuf mois de
détention arbitraire laisse entrevoir une source d’espoir pour les
défenseur·es des droits humains en Guinée. Pour autant, cette
décision salutaire ne doit pas occulter la réalité de la société
civile qui opère dans un contexte toujours plus contraignant,
rappellent l’Observatoire (FIDH-OMCT), Agir ensemble pour les
droits humains (AEDH) et Tournons la Page (TLP), qui appellent la
junte militaire au pouvoir à garantir les droits à la liberté
d’association, de réunion pacifique et d’expression dans le
pays.
Le
13 juin 2023, le Tribunal de première instance de Dixinn, délocalisé
à la Cour d’Appel de Conakry pour l’occasion, a prononcé
l’acquittement pour délits non constitués d’Oumar
Sylla,
alias Foniké Menguè, coordinateur du Front National pour la Défense
de la Constitution (FNDC) et coordinateur adjoint de Tournons La Page
(TLP) Guinée et d’Ibrahima
Diallo,
coordinateur de TLP-Guinée et responsable des opérations du FNDC,
tous deux poursuivis pour « participation délictueuse à un
attroupement », « complicité de destructions d’édifices
publics et privés » et « complicité de coups et
blessures volontaires ». Le jour-même, le procureur de la
République a interjeté appel du jugement.
Cet
acquittement intervient un peu plus d’un mois après la libération,
dans la soirée du 10 mai 2023, des deux défenseurs des droits
humains, après plus de neuf mois de détention arbitraire. Le 30
juillet 2022, MM. Sylla et Diallo avaient été brutalement arrêtés
suite aux manifestations des 28 et 29 juillet 2022 organisées par le
FNDC et violemment réprimées par les autorités, causant plusieurs
morts. Les deux activistes avaient par la suite été inculpés et
placés sous mandat de dépôt à la maison centrale de Conakry.
Mamadou
Billo Bah,
responsable du pôle jeunes de TLP-Guinée et de la mobilisation et
des antennes du FNDC, arbitrairement
arrêté
le 21 janvier 2023 pour les mêmes infractions que MM. Sylla et
Diallo mais poursuivi dans le cadre d’un autre dossier, a été
relâché en même temps que ses deux collègues, et reste quant à
lui toujours dans l’attente de l’ouverture de son procès.
Tout
au long de ces derniers mois, la procédure à l’encontre des trois
défenseurs des droits humains a été entachée de multiples
irrégularités. Les trois activistes ont été arrêtés de façon
violente par des militaires et gendarmes encagoulés et lourdement
armés, puis emmenés vers des destinations qui sont restées dans un
premier temps inconnues. Mamadou Billo Bah a pour sa part été roué
de coups au moment de son arrestation. Au cours de leur détention,
les trois activistes n’ont pas eu accès à des soins de santé
adéquats, ce qui leur a laissé des séquelles importantes. Par
ailleurs, le délai légal de détention préventive en Guinée est
fixé à quatre mois, renouvelables une fois. En l’espèce, la
détention préventive d’Oumar Sylla et Ibrahima Diallo n’a pas
été officiellement renouvelée à l’issue de la première période
de quatre mois, et a en tout état de cause dépassé le délai
maximum de huit mois. Les activistes ont par la suite été libérés
en dehors de toute procédure officielle, sans qu’aucun motif ne
leur soit donné et sans que leur procès ne soit programmé. Enfin,
le 1er
juin 2023, Ibrahima Diallo a été retenu à l’aéroport de Conakry
et arbitrairement empêché de quitter le territoire guinéen, alors
qu’aucune mesure de contrôle judiciaire n’avait été prononcée
à son encontre lors de sa libération.
Cet
acharnement judiciaire au long cours à l’encontre d’Oumar Sylla,
Ibrahima Diallo et Mamadou Billo Bah, s’inscrit dans un contexte de
harcèlement généralisé des membres du FNDC et de la société
civile guinéenne en général. Le FNDC est un mouvement citoyen créé
en avril 2019 pour protester contre la volonté du Président Alpha
Condé d’amender la Constitution ou d’en adopter une nouvelle
afin de pouvoir briguer un troisième mandat. En dépit de l’adoption
d’une nouvelle Constitution en mars 2020 qui a permis la réélection
du Président en octobre de la même année, les activistes du FNDC
ont poursuivi leur combat pour la démocratie. En septembre 2021,
Alpha Condé a été renversé par un coup d’État de la junte
militaire qui a engagé le pays dans un processus de transition
solitaire et autoritaire. Face aux nombreuses atteintes portées à
la démocratie par la junte, telles que la suspension de la
Constitution remplacée par une Charte de la transition ou la
répression sanglante des manifestations pacifiques, le FNDC continue
à militer pour un retour à l’ordre constitutionnel et une
transition rapide vers un pouvoir civil en concertation avec la
société civile. En raison de leur engagement, les membres du FNDC
sont durement réprimés par les autorités, et sont notamment
l’objet d’arrestations arbitraires et d’un harcèlement
judiciaire constant, et certains sont forcés à l’exil afin de
pouvoir poursuivre leurs activités légitimes de défense des droits
humains.
Par
ailleurs, les libertés fondamentales sont allègrement bafouées par
la junte militaire au pouvoir. En mai 2022, la junte militaire a
décrété l’interdiction de toute manifestation dans le pays, en
contradiction avec les obligations internationales de la Guinée,
notamment au titre du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques, de la Charte africaine des droits de l’homme et des
peuples et la Charte de la transition édictée par la junte. En
août 2022, la junte s’est attaquée à la liberté d’association,
en dissolvant
arbitrairement
le FNDC. Depuis lors, les autorités refusent systématiquement les
demandes de renouvellement d’agrément aux associations membres du
FNDC.
L’Observatoire,
l’AEDH et TLP saluent l’acquittement d’Oumar Sylla et
d’Ibrahima Diallo, mais rappellent qu’ils n’auraient jamais dû
être détenus en premier lieu, leur détention étant arbitraire en
ce qu’elle ne visait qu’à les sanctionner pour l’exercice
légitime de leurs activités de défense des droits humains. Les
organisations signataires enjoignent la junte militaire au pouvoir en
Guinée à abandonner toutes les poursuites à leur égard, ainsi
qu’à l’encontre de Mamadou Billo Bah, et à leur garantir, ainsi
qu’à l’ensemble des défenseur·es des droits humains dans le
pays, un environnement propice pour qu’ils et elles puissent
exercer leurs activités légitimes sans menaces ni crainte de
représailles.
L’Observatoire,
l’AEDH et TLP appellent également la junte militaire au pouvoir à
garantir l’indépendance de la justice, ainsi que les droits à la
liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association
dans le pays, conformément aux engagements internationaux de la
Guinée, notamment au titre des Articles 19, 21 et 22 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques et des Articles
9, 11 et 10 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des
Peuples.
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