Newsletter de La Fabrique de la Cité #93

#93 - 20 août 2021

Des lendemains qui chauffent

Face aux défis des décennies à venir, deux visions du monde s'opposent : d'un côté de l'Atlantique, l'accent est mis sur les innovations de rupture et la technologie ; de l'autre, on parle réformes ou de taxes.

"L'avenir nous tourmente, le passé nous retient, c'est pour ça que le présent nous échappe." : nulle part plus qu'en Europe cette citation de Flaubert ne se vérifie. La multiplication des rapports de prospective ici et là en est un indice parmi d'autres. En mai, c'est le Premier ministre espagnol, Pedro Sánchez, qui présente España 2050, un document de 675 pages ayant reçu la contribution de plus d'une centaine d'experts de divers domaines et horizons idéologiques, présentant un plan à trente ans de développement du pays visant à améliorer les performances sur des questions clés telles que l'éducation, la santé, les retraites, l'emploi, les impôts et l'environnement au cours des trois prochaines décennies. "Se projeter dans le futur est une autre manière de dire qu'on croit à l'avenir", explique en substance le dirigeant espagnol en présentant son rapport. En France, la création, voici bientôt un an, du haut-commissariat au plan procède de la même idée qu'il nous faut dessiner le futur, si possible un futur à la fois "possible et désirable" pour reprendre la belle expression d'Etienne Klein.  

Dessiner le futur pour tenter de le dompter : tel est en effet le dessein. En cela, les dirigeants européens rendent sans le vouloir un bel hommage à Donald Rumsfeld, l'ancien secrétaire à la défense de George W. Bush, qui vient de s'éteindre et dont la célèbre citation sur le connu et l'inconnu est plus que jamais d'actualité : "Les rapports qui disent que quelque chose ne s'est pas produit sont toujours intéressants pour moi, car comme nous le savons, il y a des connus, c'est-à-dire des choses que nous savons que nous savons. Nous savons également qu'il y a des inconnus connus ; c'est-à-dire que nous savons qu'il y a des choses que nous ne savons pas. Mais il y a aussi des inconnus inconnus - ceux que nous ne savons pas que nous ne savons pas. Et si l'on regarde l'histoire de notre pays et d'autres pays libres, c'est cette dernière catégorie qui tend à être la plus difficile."

D'actualité car la pandémie nous aura montré que l'inconnu connu est bel et bien là, prêt à surgir à tout moment, nourrissant au passage l'idée qu'après tout, l'inconnu inconnu est peut-être aussi pour demain. Car là réside la limite de ces exercices prospectifs dans des démocraties rendues plus impatientes encore par une pandémie qui n'en finit pas : 2040, 2050, sans doute... mais quid de 2022, 2023, 2024, etc. ? Réconcilier demain et après-demain est sans doute l'exercice politique le plus difficile qui soit aujourd'hui. C'est sous cet angle qu'il faut lire la politique du président Biden en matière de lutte contre le changement climatique. En érigeant les années 2020-2030 en "décennie décisive", il explique que ce sont les décisions des années 2020 qui forgeront le monde de 2050, ce monde de la neutralité carbone sur lequel se sont engagées les nations à travers l'accord de Paris.  

Le raisonnement est frappé au coin du bon sens puisque effectivement, les infrastructures de mobilité ou de production d'énergie comme les bâtiments que nous construisons aujourd'hui seront encore là dans moins de trente ans. Telle est d'ailleurs également la philosophie du rapport Blanchard-Tirole qui explique ce qu'il faut faire aujourd'hui pour relever les trois défis économiques qui ne vont faire que monter en puissance : changement climatique, inégalités et vieillissement démographique. Reste que le ton est différent : d'un côté de l'Atlantique, l'accent est mis sur les innovations de rupture, la technologie et les transformations induites sur nos vies et nos emplois ; de l'autre, on parle réformes ou taxes. D'un côté, les nouveaux Laurent de Médicis américains - les Gates, Musk et Bezos - nous font rêver avec des innovations et des ambitions prométhéennes, sous terre, sur terre, dans les airs et au-delà ; de l'autre, des économistes et prix Nobel nous confrontent à la réalité, à "la vérité, l'âpre vérité" pour répondre à la commande de politiques qui regardent l'avenir sur fond de gilets jaunes.  

Ce sont bel et bien deux représentations du monde qui s'opposent : rêver le monde pour le façonner à sa main ; dire le monde pour tenter de le subir le moins possible. Dans la décennie qui s'ouvre, où seront les "lendemains qui chantent" ? Cécile Maisonneuve, présidente

→ "La décennie décisive", c'est aussi le titre de la 4e édition du festival Building Beyond, auquel La Fabrique de la Cité s'associe cette année encore, du 20 au 25 septembre. Découvrez le programme de ces 25 rencontres gratuites et ouvertes à tous : www.buildingbeyond.fr

→ Cet édito est issu des tribunes bimensuelles de Cécile Maisonneuve et est à retrouver dans son intégralité sur le site de L’Express ici.

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FISC 2.0 Dans le cadre de son projet "Foncier innovant", la Direction générale des finances publiques (DGFiP) compte s'appuyer sur Google pour récolter des données sur tout ce qui est susceptible de jouer sur le calcul des impôts locaux (garages, vérandas, piscine, tennis…). Concrètement, la DGFiP va utiliser des algorithmes qui lui permettront d'extraire depuis ces prises de vues aériennes de l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN) les contours des piscines et bâtis pour vérifier s'ils sont conformes aux déclarations. Pour affiner ses contrôles, Bercy s'appuierait alors sur «la plateforme de Google pour la fourniture de l'infrastructure cloud et de l'hébergement et à ses services pour les prestations de développement des modèles d'intelligence artificielle». Cette collaboration entre le fisc et une entreprise extérieure n'est pas inédite (Accenture en 2019) mais le choix de l'américain Google - qui a lui-même été condamné pour fraude fiscale - interroge. (Les Echos) – Yamina Saydi, chargée de communication

 

UN PARIS BIOCLIMATIQUE – Afin d’adapter la capitale au changement climatique, la Ville de Paris révise son Plan local d'urbanisme (PLU) en faveur d’un PLU bioclimatique qui définira de nouvelles règles en matière d’urbanisme dans la ville d’ici 2024. Sous la forme d’une bibliothèque d’une centaine de cartes et graphiques, l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR) a réalisé, pour l'occasion, un diagnostic territorial disponible en ligne.  Le PLU bioclimatique vise une double exigence : d'une part, celle d'adapter la ville aux changements pour la rendre plus résiliente, et d’autre part, d'œuvrer à réduire radicalement son empreinte environnementale et écologique en mobilisant les ressources locales pour adapter le cadre de vie des habitants aux nouvelles conditions et leur offrir un environnement plus sain. Ces enjeux devront être déclinés dans toutes les thématiques définies pour orienter le PLU : cadre de vie, développement économique, habitat, solidarité et inclusion, nature et patrimoine. (Le Monde, APUR) – Émilie Li, assistante de recherche

 

EN MUSIQUE – Malgré l’abondante quantité de graphiques, de données et d’écrits scientifiques disponibles en ligne, la mobilisation des individus face à l’urgence climatique tarde à se concrétiser. Face à ce constat, un groupe de scientifiques et de musiciens s’est réuni, au travers du projet ClimateMusic, pour expérimenter une approche plus sensorielle du changement climatique, reposant sur le son. Cette approche insolite consiste à accompagner du contenu visuel (de la donnée, ou des images par exemple) avec une musique dont le rythme ou la tonalité suit les données. Les premières expérimentations ont été un franc succès, et l’organisation espère maintenant élargir son audience à l'international. (Next City) – Arthur Wienhold, assistant de recherche

 

GRAND PARIS PIÉTON – Connaissez-vous l’île de Charentonneau, la rivière du Petit Rosne ou encore la forêt de Bondy ? Si la réponse est non, il est encore temps de découvrir ces espaces verts grand-parisiens. Du 19 au 29 août, le média Enlarge Your Paris, en partenariat avec la Société du Grand Paris (SGP), propose de découvrir à pied les « grands espaces naturels » à proximité du Grand Paris Express, le réseau de 200 km de lignes automatiques autour de la capitale dont la mise en service totale est prévue en 2030. En onze étapes de 13 à 19 km, il sera possible de relier chaque jour des gares déjà en service à travers le parc Valbon en Seine-Saint-Denis ou la Bièvre, affluent de la Seine. Alors, intéressé.e.s ?  (Enlarge Your Paris) – Yamina Saydi

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