Chère lectrice, cher lecteur,
Trois quarts de la population suisse souhaitent que les décisions politiques se basent sur la science. Et 66% des citoyens voudraient que les scientifiques eux-mêmes se joignent à la discussion politique. C’est ce qu’a affirmé récemment Mike Schäfer, professeur en communication scientifique à l’Université de Zurich, dans l’émission 10vor10 de la télévision alémanique. Selon les résultats de l’étude qu’il invoque, la population, dans sa grande majorité, demande que la politique prenne en considération les preuves scientifiques. Une exigence qui a tout son sens dans la discussion sur les mesures décidées par le monde politique face à la pandémie de Covid-19. Dans la même émission, Felix Gutzwiller, ancien député au Conseil des États et spécialiste en médecine préventive, met en perspective le rôle de la science en politique. Il plaide pour une répartition claire des rôles, avec une task force qui livrerait des bases de décision à l’administration. À son avis, l’envie de museler les scientifiques témoigne d’une fausse interprétation de la relation entre la science et la politique. La science livre les bases de décision. Il appartient à la politique de prendre les décisions qui s’imposent et d’en assumer les conséquences. Elle doit communiquer à la population les raisons à l’appui de ses décisions. Dans le cas des mesures contre le coronavirus, les rôles se sont un peu confondus. Autant il est juste et important d’adopter des concepts de protection, autant il est vain de focaliser le débat sur l’ouverture des terrasses dans les stations de ski. Cela donne le sentiment d’une gestion à la petite semaine, tout sauf productive. Bien sûr, des intérêts sont là. Le rôle de la politique est de les mettre en balance. La science ne le peut pas. La conclusion reste néanmoins: la population veut avec raison que la politique ne se détache pas de la science. Dans le cas du coronavirus comme dans les autres cas. Durant les mois à venir, deux initiatives agricoles domineront les discussions. Il faudra alors nous souvenir du souhait de la population d’avoir un débat politique basé sur des preuves scientifiques. Les définitions forment la base du discours scientifique. Si la discussion politique prend plus de libertés, ce n’est pas le cas de la législation, qui repose elle aussi sur des définitions et des contenus clairs. Lorsque le texte de l’initiative pour l’eau potable prévoit d’inscrire l’expression «production sans pesticides» dans la Constitution, la population doit pouvoir en avoir la certitude. Le mieux est de se référer à la définition internationale du terme «pesticide». Dans son message sur l’initiative, le Conseil fédéral rappelle qu’il faut entendre par pesticides les PPh et les produits biocides (produits de nettoyage et désinfectants). «Sans pesticides» implique par conséquent de renoncer largement aux mesures d’hygiène dans les étables. Ce qui menace la sécurité des aliments dans la production agroalimentaire. Il ressort aussi de cette définition qu’une production «sans pesticides» interdirait l’usage des pesticides dans l’agriculture bio. Que les agriculteurs bio préfèrent le terme de «matières auxiliaires» ne change rien au fait qu’il s’agit aussi de pesticides. Tous les agriculteurs sont visés par l’initiative. En clarifiant des questions fondamentales, la science sert également le discours politique. Ceux qui en appellent à la science dans la discussion sur les mesures contre le coronavirus ne peuvent pas balayer d’un revers de la main les preuves scientifiques dans le débat sur les initiatives agricoles. Une muselière, même sélective, reste une muselière. Ce qui nous ramène à la politique. La politique n’aime rien de moins que les annonces opportunistes à court terme dans les médias. Par exemple sur les métabolites des produits phytosanitaires, dont les médias ont beaucoup parlé. Comme tout se détecte aujourd’hui, tout semble aussi soudainement pertinent. Mais cela relève non pas de la science, mais de la politique. À long terme, une agriculture qui fait un usage efficient des ressources est dans le plus grand intérêt de la société. En s’aidant de tous les moyens techniques possibles, l’agriculture devrait garantir sa productivité par une utilisation aussi mesurée que possible du sol, de l’énergie et du capital. Car une productivité défaillante gaspille les ressources, y compris les ressources naturelles. Autrement dit: lorsque la politique en vient à se focaliser unilatéralement sur les produits de dégradation des PPh – même lorsque ces produits de décomposition ne sont absolument pas pertinents pour l’homme et l’environnement –, une correction scientifique s’impose. La toxicologie peut facilement l’apporter. Elle peut démontrer ce qui est vraiment dangereux pour l’homme et l’environnement. L’adage qui dit que la dose fait le poison reste vrai. Des valeurs limites garantissent des marges de sécurité élevées. La politique fait-elle vraiment bien lorsqu’elle cherche à engranger des gains à court terme? Par exemple en affirmant qu’un million d’habitants boivent de l’eau polluée. Nous avons examiné de près cette allégation, fausse bien sûr. Ceux qui font de la politique avec de tels arguments se meuvent sur un terrain extrêmement glissant, même si l’affirmation est politiquement rentable à court terme. Ils provoquent des coûts d’assainissement en millions de francs, ce qui est irresponsable alors que la crise sanitaire engloutit des milliards de francs. Des décisions politiques devraient garantir la cohérence à long terme, car sinon la stabilité des conditions-cadre de la Suisse, dont nous aimons tant nous targuer, prendrait l’eau. Le bon sens devrait guider notre régime alimentaire. Les trois oratrices que se sont exprimées lors du dernier entretien Swiss-Food-Talk l’ont souligné. Les aliments de la région ont une grande importance. Ils garantissent une alimentation saine. Notre résumé de l’entretien et les interventions sont à découvrir dans le lien ci-après. En fin de compte, c’est toute la société qui paie le prix du découplage entre la science et la politique. Qui bloque tout ébranle les fondements de l’innovation et ne fait pas non plus avancer la science. Tobias Straumann, historien économique de l’Université de Zurich, expose clairement dans la NZZ am Sonntag que le déclin des groupes industriels menace ni plus ni moins l’avenir technologique de la Suisse. La formation professionnelle et l’excellence de nos universités ne sont pas les seuls facteurs de succès de notre pays. Notre pays a aussi besoin de grandes entreprises capables d’absorber les technologies de pointe. Faute de quoi, le savoir-faire part à l’étranger. Tobias Straumann dresse un constat sévère: «Les grandes entreprises ont eu mauvaise presse ces derniers temps. Certaines critiques sont justifiées, mais nous devons aussi en avoir conscience: sans elles, il devient beaucoup plus difficile de préserver la capacité d’innovation de la Suisse, qui a offert à chacun de nous des conditions de vie dont nos ancêtres n’avaient jamais osé rêver.» Andreas Hirstein, dans son article intitulé «So teuer war der Fortschritt noch nie» et publié dans le même numéro de la NZZ am Sonntag, abonde dans le même sens. La croissance économique puise ses racines dans la science. Plus le développement technique est avancé, plus il devient difficile d’innover, poursuit Andreas Hirstein. La productivité de la recherche diminue. Pour continuer à faire tourner le moteur de l’innovation, la puissance du capital et la coopération transfrontalière sont indispensables. Les deux textes sont résumés sur Swiss-Food. La rédaction de swiss-food.ch
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