L'Observatoire
a été informé de l’enlèvement et de la disparition forcée des
journalistes Messrs. Guezouma
Sanogo,
Président de l’Association des journalistes du Burkina Faso (AJB),
principal regroupement de journalistes au Burkina Faso, Boukary
Ouoba,
vice président de l’AJB, et Luc
Pagbeguem,
journaliste pour le média en ligne BF1.
Le
24 mars 2025, dans la matinée, Guezouma Sanogo et Boukary Ouoba ont
été enlevés au centre Norbert Zongo à Ouagadougou, capitale du
Burkina Faso, par des individus se présentant comme des policiers
membres des services de renseignements, avant d’être conduits vers
une destination inconnue. Selon leurs proches, leur enlèvement fait
suite à leur dénonciation des atteintes graves à la liberté
d’expression et de la presse au Burkina Faso, notamment lors du
Congrès de l’AJB du 21 mars 2025, à l’issue duquel Guezouma
Sanogo a été réélu Président pour un nouveau mandat de cinq ans.
Dans la déclaration finale du Congrès de l’AJB lue par M. Sanogo,
l’organisation a dénoncé la suspension et le musellement des
médias indépendants au Burkina Faso. L’AJB a également critiqué
l’instrumentalisation et la mainmise des autorités sur les médias
d’État, notamment la Radiotélévision du Burkina (RTB) et
l’Agence d’information du Burkina (AIB), devenus « des
outils de propagande » au service du régime militaire dirigé
par le Capitaine Ibrahim Traoré. L’organisation a également
appelé à la libération de tou·tes les journalistes détenu·es
« en violation de toute procédure légale ».
Le
même jour, aux environs de 16h30, Luc Pagbeguem a été enlevé au
siège de BF1 par deux agents du Conseil national de sécurité,
services des renseignements du Burkina Faso, qui ont assuré vouloir
entendre le journaliste à propos d’un reportage
qu’il a réalisé pour BF1 sur la clôture du congrès de l’AJB.
Au
moment de la publication de cet Appel Urgent, le sort et la
localisation de Messrs. Sanogo, Ouoba et Pagbeguem restent inconnus
et leurs familles et collègues restent sans nouvelles.
Le
25 mars 2025, la direction du Guichet unique des organisations
associatives et politiques, relevant du Ministère de
l’administration territoriale et de la mobilité, a déclaré dans
un communiqué que le Congrès de l’AJB avait « alimenté la
controverse » alors qu’elle est « considérée comme
dissoute depuis le 14 janvier 2019 », au motif qu’elle
n’aurait pas rempli certaines obligations légales. Pour autant,
l’AJB n’a reçu aucune notification officielle de dissolution.
L’Observatoire
rappelle que plusieurs autres journalistes sont portés disparus au
Burkina Faso, y compris Atiana
Serge Oulon,
journaliste d’investigation et directeur de publication du
bimensuel l’Événement,
journal d’investigation de référence au Burkina Faso, dont les
proches restent sans nouvelles depuis son enlèvement
le 24 juin 2024.
L’Observatoire
rappelle également que ces enlèvements s’inscrivent dans un
contexte de musellement de la société civile et de répression des
défenseur·es des droits humains et des journalistes au Burkina
Faso, en particulier celles et ceux dénonçant les manquements des
autorités militaires au pouvoir dans le pays. Ce climat répressif,
accentué par la forte pression des autorités pour un « traitement
patriotique de l’information », mène les médias et
journalistes indépendant·es à l’auto censure, comme cela est
analysé dans le rapport
de l’Observatoire de février 2025 « Espace
civique et défenseur·es des droits humains au Sahel :
convergence régionale des pratiques de répression ».
L’Observatoire souligne également dans ce rapport que la
répression au Burkina Faso a pris une dimension très inquiétante
avec l’adoption de deux décrets en novembre 2022 et avril 2023 «
portant mobilisation générale et mise en garde » par le Président
de la Transition, permettant de réquisitionner toute personne âgée
de plus de 18 ans physiquement apte, afin de « défendre l’intégrité
du territoire national », de « restaurer la sécurité » et «
d’assurer la protection des populations et de leurs biens contre la
menace et les actions terroristes ». Dans le cadre de l’application
de ces décrets, les autorités ont désormais recours de manière
sélective et discriminatoire à l’enrôlement forcé des
défenseur·es et des opposant·es politiques comme supplétifs de
l’armée, et une dizaine de défenseurs ont
reçu
des ordres de réquisition délivrés par le Commandement militaire.
Dans ce contexte, l’Observatoire exprime sa plus vive inquiétude
face au risque élevé de réquisition forcée de Guezouma Sanogo,
Boukary Ouoba et Luc Pagbeguem, et s’y oppose fermement.
L’Observatoire
condamne l’enlèvement et la disparition forcée de Guezouma
Sanogo, Boukary Ouoba et Luc Pagbeguem qui ne semblent viser qu’à
les punir pour leurs activités légitimes de défense des droits
humains.
L’Observatoire
enjoint les autorités militaires au pouvoir au Burkina Faso à tout
mettre en œuvre afin que le sort et la localisation de Guezouma
Sanogo, Boukary Ouoba et Luc Pagbeguem soient connus, qu’ils soient
libérés de façon immédiate et inconditionnelle et que toute la
lumière soit faite sur leur enlèvement et leur séquestration.
L’Observatoire
appelle également les autorités militaires au pouvoir au Burkina
Faso à garantir les droits à la liberté d’expression et
d’association,
tels que consacrés par les standards internationaux relatifs aux
droits humains, et particulièrement aux Articles 19 et 22 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques des Nations
Unies, et aux Articles 9 et 10 de la Charte africaine des droits de
l’Homme et des peuples.
|